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Judaïsme et Islam

  • Fr. Guy

Dialogue encore possible ?

Delphine Horvilleur – Rachid Benzine, Des mille et une façons d’être juif ou musulman. Dialogue. Éditions du Seuil, 2017, 243 pages.

Je ne fais que mentionner cet ouvrage paru il y a sept ans déjà, connu peut-être de quelques rares lecteurs de ce blog. J’ajoute un point d’interrogation à son sous-titre. J’imagine en effet difficilement qu’un « dialogue » soit possible de nos jours, en plein conflit de Gaza, là où les belligérants s’accusent mutuellement de génocide, même si le recours à la religion des uns et des autres n’est pas invoqué comme argument. Je mentionne aussi ce livre du faut de la personnalité de celle et de ceux qui ont part à ces entretiens.

Madame Delphine Horvilleur est rabbine dans la communauté juive libérale de France. Une fraction assurément minoritaire dans une région où le judaïsme orthodoxe est largement majoritaire et dominateur. Comme il en est de même à Genève. Tout en s’affichant juive, la rabbine se montre très critique de sa tradition religieuse. Elle ne veut pas simplement la répéter, mais elle s’en inspire pour la prolonger ou, au besoin, pour la réformer. Son ennemi est le littéralisme biblique, source d’exclusivisme et de comportements sectaires. Ses alliés sont la recherche historique et la critique scientifique.

Bien des biblistes de sensibilité chrétienne nous ont habitués à cette façon d’interpréter les Livres de l’Ancien et du Nouveau Testaments. Notre rabbine n’invente rien. Elle ne fait qu’appliquer cette méthode à son Livre. Certains de ses coreligionnaires le lui reprocheront sous prétexte de son manque de respect de la tradition juive authentique et de son appétit de modernité, voire de postmodernité. D’où ma question : peut-on entreprendre un véritable dialogue interreligieux sur des bases aussi fragiles ? Et encore en période de conflit ouvert entre les partenaires. Ne faut-il pas d’abord sauver les murs de la maison avant de songer à restaurer son mobilier ?

Les lecteurs de ce blog connaissent tant soit peu Rachid Benzine, essayiste, romancier et écrivain prolifique. Ce marocain immigré est l’acteur musulman de ce « dialogue ». Nous savon déjà son intérêt pour les relations islamo-chrétiennes. Faut-il rappeler son livre écrit avec Christian Delorme paru chez Albin Michel en 2008 : « Nous avons tant de choses à nous dire. Pour un vrai dialogue entre chrétiens et musulmans ». Benzine aussi se réclame des nouveaux penseurs de l’islam pour exprimer sa foi. Mais avec un réel respect pour sa tradition. Du moins, celle vécue par les plus simples, les immigrés du Maghreb en l’occurrence. Ses dernières productions recensées sur ce blog sont consacrées aux problèmes sociaux, surtout familiaux, de ces immigrés. Beaucoup de respect de sa part pour leurs croyances, quelles que soient les méthodes scientifiques qu’il met en œuvre pour converser avec sa collègue rabbine. Un ton différent, c’est évident. J’en donne une illustration livrée par cette citation de Rachid Benzine extraite du dernier chapitre de ce livre écrit à deux voix. Le chapitre est intitulé ; « De quel Dieu parlons-nous ? ». Et l’extrait reproduit est consacré à la prière.

« Je dis souvent qu’il y a deux manières de prier Les premiers courent le risque d’en faire l’idole dont Delphine parlait. Ils aimeraient que le « Tout-Puissant » (une appellation commune aux trois monothéismes dits « abrahamiques ») entre dans leur pauvre existence et fasse une foule de choses pour les aider, les soulager, leur porter chance. Les autres se tournent vers Dieu pour lui dire simplement qu’ils manquent de beaucoup de choses - sinon de tout - et qu’ils sont, au fond, des êtres de manque. C’est pourquoi, ce qu’ils demandent, c’est ce qu’on trouve énoncé dans la Fatiha, la première sourate du Coran : la guidance, être bien guidé sur ce chemin de manque. (…)

A mon sens, quand des gens prient, quels que soient leur degré de croyance et leurs connaissances religieuses, ils devraient être surtout dans une attitude d’action de grâce, une attitude où l’on dit d’abord « Merci ». La prière a pour première fonction d’exprimer la gratitude.

Pour moi, il s‘agit donc de dire merci dans la prière. De là vient que la prière, autrement dit la relation à Dieu, ne peut être que poétique. Elle ouvre un espace d’imagination, d’action, d’éthique. Sinon, on aura tendance de ramener Dieu à soi, à en faire sa chose et donc à rendre sa vie et celle des autres infernale. Il est vrai que beaucoup de croyants, lecture du Coran à l’appui, ont une conception de Dieu qui comptabilise, d’un Dieu qui fait ses comptes et nous fera payer notre dette ; avec tel nombre de points on ira au paradis, avec tel autre, on ira en enfer. Cette conception est à l’évidence une vue humaine, trop humaine. Dieu, c’est d’abord l’expérience intime de l’Ultime. C’est cette altérité radicale qui fait que quand on s’adresse à lui dans notre intériorité, nous ne pouvons mentir. C’est un vis-à-vis exigeant à l’égard de nos propres constructions » (op.cit. p. 213-214)

Dois-je avouer que je me sens plus proche de ces propos que de ceux de la rabbine qui fait de Dieu un être lointain au nom indicible ? Existe-t-il vraiment ? J’y reviendrai dans une prochaine recension.

L’entretien de Delphine et de Rachid nécessitait un meneur de jeu. On fit appel à un chrétien qui sans prendre position dans ce débat serait respectueux des idées et opinions des uns et des autres. Le sort tomba sur Jean-Louis Schlegel, théologien et sociologue de sensibilité catholique. Ce livre lui doit ses dernières lignes. La rabbine vient d’affirmer que « la vérité n’est la propriété de personne et nos traditions proposent des chemins différents pour s’en approcher. Celui qui dit la posséder est prêt à détruire le monde à coups de certitudes » (op.cit.p.245).

Et Schlegel de conclure : « Cette conclusion à la fois lucide et combattive semble bien résumer la totalité de nos entretiens » (op.cit.p.245.)

Qu’en pensent les deux partenaires et leurs lecteurs ?  

© Éditions du Seuil

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