Julien Green

François Huguenin : La nuit comme le jour est lumière. Avec Julien Green, Cerf 2022, 168 p.

Une fois de plus, c’est le sujet d’un livre et non son auteur qui attire mon attention. J’ignore tout de cet essayiste et journaliste qui répond au nom de François Huguenin, sauf qu’il est passionné par l’œuvre littéraire de Julien Green, au point de relire sa propre vie dans celle de cet « immense » écrivain dont l’existence (1900-1998) recouvre pratiquement toute la durée du dernier siècle. Mieux encore, le parcours de vie de Julien a permis à François d’émerger du marais où il s’enlisait lui-même.

François Huguenin s’approprie donc ce propos repéré dans une page du Journal de Green à la date du 24 mars 1950 et qu’il cite en exergue de son essai :

« Je me demande si on lira jamais ces mots et si jamais quelqu’un dira : ‘Tiens, c’est comme moi.’ Mais non, il n’est pas possible que la mélancolie atteigne une telle intensité dans un autre cœur que le mien ».

Julien Green se trompait. D’autres hommes allaient lire ses lignes et se retrouver dans sa « mélancolie ». Huguenin et beaucoup d’autres feront un jour l’expérience du débat intérieur qui a profondément marqué la vie de l’écrivain. Le livre que nous recensons relate en fait deux biographies qui s’entremêlent : celle de Green et celle de Huguenin. Une même trame, mais un cadre et un temps différents.

Celui qui s’est frotté tant soit peu aux ouvrages de Julien Green, à son Journal en particulier, a décelé ce qui tourmentait depuis longtemps l’écrivain, avant qu’il ne s’apaise avec le cours des années. Non pas des préoccupations liées à des événements extérieurs, comme les deux guerres mondiales qu’il a côtoyées plutôt que traversées, mais un conflit intérieur entre ses pulsions sexuelles et une spiritualité qui l’invitait à les dépasser ou les surmonter. Un conflit qui tire ses origines de son éducation puritaine, source de ses angoisses et de sa culpabilité mais qui explique aussi ses échecs et ses drames personnels. Huguenin qui tient en main le « Journal Intégral » de l’écrivain, conforme à la version originale non censurée, sait de quoi il parle. Le salut – parce qu’il s’agit bien de « salut » – passe par la perception d’un Dieu qui pardonne inlassablement. « Là où le péché surabonde, la grâce finit par triompher ».

Un autre intérêt du livre de Huguenin est de rappeler les noms de quelques grands écrivains que Greene fréquentait assidûment. Parmi eux, André Gide, bien sûr, mais aussi François Mauriac et même Jacques Maritain. Des êtres proches de ses troubles et ses tourments auprès desquels il cherchait peut-être un moyen d’y échapper.

Comme toujours, le recenseur s’interroge sur l’impact de cet ouvrage et indirectement de Julien Green sur les nouvelles générations. Le dévoilement crû des turpitudes sexuelles de l’écrivain n’étonne plus personne, tant les médias de tous ordres les banalisent aujourd’hui. Elles ne sont plus considérées comme des fautes, ou des péchés commis par des hommes ou de femmes égarés ou dévoyés. Point n’est alors besoin de recourir à un Dieu qui pardonne, puisqu’il n’y rien à pardonner. A la rigueur, l’aide d’un psy suffirait à recadrer une culpabilité exacerbée. 

Alors, que reste-t-il de Julien Green ? Bien sûr, la maîtrise et la beauté du style, le rappel d’un siècle illustré par de grands auteurs qui s’affirmaient « catholiques ». Mais encore ? Huguenin atteste la persistance d’une tension entre les forces des ténèbres et celles de lumière à l’intérieur de nous-mêmes. « Malheureux homme que je suis ! Je ne fais pas le bien que je veux et je fais le mal que je ne veux pas », se lamentait l’apôtre Paul jusqu’au jour où il entendit une voix lui disant : « Ma grâce te suffit ! ». 

Je ne suis pas certain que cette expérience spirituelle soit périmée. Elle pourrait avoir encore sens aujourd’hui.