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Kaboul ! … Kaboul !

  • Fr. Guy

Serge de Beaurecueil

Non, je ne suis ni rétro ni nostalgique, mais je m’en voudrais de ne pas évoquer sur ce blog la mémoire d’un homme qui fut mon frère dominicain et pour lequel Kaboul et l’Afghanistan furent sa passion. Je veux parler du frère Serge de Beaurecueil 1917 – 2005[1]. Faisant mention de Serge, je ne m’éloigne pas de la triste actualité qui affecte ces dernières semaines les Afghans.

Pendant vingt ans Serge partagea les bons et mauvais jours des habitants de Kaboul jusqu’au jour où le régime en place soutenu par l’armée soviétique l’expulsa malade et odieusement calomnié. De retour en France, Serge se considérait comme un réfugié, chassé de sa patrie, en quête d’un lieu d’asile.

Rien au départ ne destinait Serge à prendre le chemin de Kaboul. Entré dans l’Ordre des Prêcheurs en 1933, ordonné prêtre en 1941, il poursuivit à Paris des études supérieures en langues orientales, en arabe et en islamologie. Son maître à penser, le Père Marie-Dominique Chenu, voyait en lui un des trois piliers (les frères Jomier – Anawati – de Beaurecuei) qui soutinrent la fondation du futur « Institut Dominicain d’Etudes Orientales » (IDEO) du Caire.

Serge retiendra ce conseil du Père Chenu : « N’étudiez pas les doctrines, mais les hommes qui les ont conçues, dans leur milieu, dans leur temps. Sans cela, vous risqueriez de n’y rien comprendre ».

Au cours des dix-sept années d’intense travail scientifique au Caire, le hasard d’une rencontre mit Serge sur la piste du soufi Ansari, mystique musulman afghan du 10ème siècle dont le mausolée se trouve à Hérat dans l’ouest de l’Afghanistan. L’étude et la traduction des œuvres de ce soufi l’entraîneront en 1963 à établir son domicile à Kaboul où il va demeurer jusqu’à son expulsion en 1983.

Serge parlera de ce séjour comme d’épousailles avec Ansari devenu son maître spirituel, mais aussi les Afghans avec lesquels il voulait « partager le pain et le sel »[2], autrement dit, communier avec eux au jour le jour en s’immergeant toujours plus profondément dans leur quotidien. Cet itinéraire sera considéré comme une ascension par Serge, alors qu’au regard de certains de ses pairs il ne signifiera que reniement et abandon de ses dons, pourtant reconnus par la communauté scientifique internationale.

« En effet, après avoir eu ses entrées à la Bibliothèque Royale de Kaboul, puis après avoir été professeur à l’Université de cette ville, il devint ensuite enseignant au Lycée Estéqlâl, pour rejoindre finalement le niveau de l’enseignement primaire »[3]. Serge renonçait à une brillante carrière scientifique parce que son cœur avait été blessé à la vue d’enfants de la rue handicapés et sans logis qu’il recueillit peu à peu chez lui. Et ce fut le début d’une autre aventure spirituelle, celle de ses enfants de Kaboul qui firent l’objet d’un récit émouvant que Serge rédigea à Kaboul en 1983 et qu’il fera publier chez Lattiès à Paris la même année, après son retour en France[4].

Cet ouvrage réédité aux Editions du Cerf en 2004 connaîtra un immense retentissement. Jusqu’au Rwanda où il devint mon « bréviaire », éclairant un parcours similaire au sien auprès des enfants de la rue de Kigali.

En 1989, à mon retour d’Afrique, je rencontrai Serge à Bruxelles. Passablement déprimé, il ne vivait que pour ses enfants et jeunes amis afghans dispersés, emprisonnés, torturés en vue de leur arracher des aveux qui auraient dû le compromettre et le discréditer.

Je le retrouvai en 2004 dans le couvent dominicain de l’Annonciation de Paris, malade mais rasséréné, corrigeant le manuscrit de sa dernière œuvre : « Je crois en l’étoile du Matin ». Ce livre sera publié par son ami, le frère André Gouzes, après son décès, survenu le 2 mars 2005.

Serge attend la résurrection face à une église russe construite dans les parages de Sylvanès, célèbre abbaye réhabilitée par son ami André.


[1] Deux références :

Un dossier de la revue dominicaine Sources de novembre – décembre 2005 avec une importante contribution du frère Jean-Marie Mérigoux du couvent du Caire.

Une biographie rédigée par le frère Jean-Jacques Pérennès : Passion Kaboul. Le Père Serge de Beaurecueil, parue aux éditions du Cerf en 2014.

[2] Serge de Beaurecueil : Nous avons partagé le pain et le sel, Editions du Cerf, 1965.

[3] Cf. Mérigoux, op. cit.

[4] Serge de Beaurecueil : Mes enfants de Kaboul, ed. Lattiès 1983.

***

Un poème sur les enfants écrit par le frère Serge à la fin de sa vie :

 

 Les enfants jouent avec les galaxies,
Et se renvoient la balle en riant.
De temps en temps, pour affirmer leur dignité,
Elles leur pètent au nez et les tuent,
Ce qui n'interrompt pas leurs jeux.
Leurs larmes aux mille feux, comme autant de diamants,
Viennent peupler le ciel de nouvelles étoiles.
Evidemment, les "grandes personnes" crient au scandale.
Et les visages des petits, comme autant de miroirs,
Se renvoient l'Image du Christ, à Bethléem ou sur la Croix.
Et tout se perd dans le feu d'artifice de la Résurrection et du Royaume.
"Que c'est beau!" s'écrient les Petits.
"Aucun sens" leur répondent les grands.
Mais Dieu sait bien qui a raison. 

Serge du Beaurecueil
Poème écrit à l'abbaye de Sylvanès
(Je crois en l'Etoile du Matin, Paris 2005, p. 9)

Le frère Serge de Beaurecueil (image : lechatsurmonepaule.over-blog.fr)

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