Blog

La chartreuse de La Lance…

  • Fr. Guy

Et notre paysage intérieur

Je ne serais guère surpris si le toponyme « Chartreuse de La Lance » n’éveillait rien de particulier chez vous. Pas plus que chez les touristes pressés qui traversent le charmant village de Concise, à mi distance d’Yverdon et de Neuchâtel, sur les rives du lac du même nom. Quelques « indigènes », il est vrai, ont entendu parler du « Domaine de La Lance » et vous en indiquent le chemin. Quant à la « Chartreuse », c’est une autre affaire. Inconnue au bataillon.

La toute première évocation de ce site cartusien remonte chez moi à mes lointaines années de collège St-Michel à Fribourg. Notre professeur d’histoire, dont les propos n’étaient pas exagérément teintés d’œcuménisme, s’en prenait avec fougue à l’ours de Berne qui au XVIème siècle n’avait fait qu’une bouchée de cette poignée de malheureux moines qui depuis deux ou trois siècles vivaient paisiblement dans cette oasis. Le même plantigrade avait déjà réduit à l’état de squelette une autre chartreuse du Jura vaudois, celle d’Oujon, sur les hauts de Nyon, à deux pas de la commune de Saint-Cergue.

Il y a quelques trente ans une promenade cléricale avait donné chair à ce lieu-dit. J’ai gardé longtemps l’image d’un petit bijou de cloître gothique perdu au fond des bois. J’ai voulu ces derniers jours raviver ce souvenir enfoui.

Une excursion familiale nous fit transgresser sans honte au visage l’interdiction d’emprunter les chemins qui devaient nous y conduire. Nous parvînmes ainsi à un enclos rural cerné de vignes et de gigantesques arbres centenaires. Une ferme cossue, une maison de maître bernoise et, au fond de la cour, un corps de bâtiments médiévaux dont la façade grise pouvait bien être celle de l’ancienne église accolée à ce cloître qui un jour m’avait fait rêver.

Point de bure blanche de chartreux dans les parages, mais un solide gaillard  qui nous intima l’ordre de rebrousser chemin illico presto, tout en nous invitant à sa « cave ouverte » dans les premiers jours de septembre. Nous pourrions alors faire honneur à son crû contre espèces sonnantes et trébuchantes, cela va sans dire. Nous n’insistâmes pas davantage. D’autant plus que les chiens jappaient déjà et que le crû en question n’était ni un Bourgogne ni un Bordeaux, même pas un Œil de Perdrix, légitime fierté du vignoble de cette région.

La morale de cette histoire est que je ne pourrai pas attendre trois autres décennies avant de revenir en ce lieu. A moins que des écolos se mobilisent sans trop tarder pour la sauvegarde de la « biodiversité monastique ».

Je ne rêve pas de voir ressuscités dans ce « Domaine » une colonie de modernes chartreux. Pas plus que je ne soutiendrais une revendication réclamant à leurs Excellences de Berne la restitution des biens volés.  

Je souhaite simplement que ce site ne serve pas qu’aux fêtes d’anniversaires et de société. Mon désir est que la méditation, la prière, et la frugalité des moines soient encore vécues et même célébrées à l’ombre de ce cloître. Les fatigués, les blessés de la vie pourraient dans le calme et la discrétion s’y reposer un instant et retrouver une raison de vivre encore.

Est-ce trop demander à l’Etat de Vaud de faire de « La Lance » un site protégé au service de cette nouvelle mission ? Il a déjà fait du vignoble du Lavaux un patrimoine de l’Unesco. Je plaide donc pour une écologie humaine qui aurait son enseigne à La Lance. Pour la sauvegarde de notre paysage intérieur.

Concise (Suisse) – Église Saint-Jean-Baptiste (photo : Pierre Bona / Wikipédia / licence : creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0)

Retour

Commentaires

×

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner un nom valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner une adresse email valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Google Captcha Is Required!

Vous avez atteint la limite de commentaires !

* Ces champs sont requis.

Soyez le premier à commenter