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La croix aux orties

  • Fr. Guy

L’abbaye d’Humilimont

Je voulais en avoir le cœur net. Que reste-t-il de l’ancienne abbaye prémontrée d’Humilimont en Gruyère, fondée au 12ème siècle, supprimée au 16ème pour constituer la dot de Pierre Canisius et de ses compagnons jésuites, appelés à Fribourg pour fonder le Collège St-Michel ?

L’opération avait été menée en bonne et due forme. Le pape avait donné son aval. En effet, pourquoi ne pas soutenir une entreprise novatrice en lui léguant les biens d’une abbaye qui, dit-on, ne contenait à cette époque qu’une demi-dizaine de moines débauchés ?  A moins que ce ne fut une application inédite d’un dicton qui a la vie dure : « Qui veut empoisonner son chien l’accuse de la rage » ?

Il est vrai que l’abbaye avait de grands biens, des terres, des pâturages et des vignes, qui pouvaient susciter l’envie de ses puissants voisins. Canisius en personne vint sur les lieux pour évaluer le parti qu’il pouvait en tirer. J’ai lu qu’un pan entier de la toiture de l’église abbatiale fut démonté pour être transféré vers Fribourg par voie fluviale – la Sarine était alors navigable – dans le but de couvrir le toit du collège St-Michel alors en construction. Le reste du bâtiment ne fut pas vandalisé, mais exploité comme carrière. Les murs de l’église voisine de Vuippens témoignent de leur pieuse origine. Mais qu’allais-je découvrir sur ce site ?

Je n’avais comme signalisation que le village de Marsens sur le territoire duquel se situait l’ancienne abbaye. Il fallut toute l’insistance de ma sœur qui m’accompagnait pour me persuader de poursuivre l‘expédition.

Quelques vagues fléchettes sur des panneaux de bois nous conduisirent à une interdiction générale de circuler. Le reste du chemin se fit donc à pied sur un sentier caillouteux. Il nous fit descendre vers une prairie, bordée d’un cours d’eau, à l’orée d’une forêt. Mais comment savoir si nous étions arrivés à l’endroit que nous cherchions ?

Par chance ou par grâce, deux agriculteurs vinrent à notre secours. Sans trop bien savoir ce que recouvrait le mot « abbaye », il nous parlèrent d’« un tas de pierres »  à l’entrée de la forêt et d’une croix qui le surmontait.

Quelques minutes plus tard, nous étions au pied de cette croix, prenant bien garde aux orties qui lui servaient de tapis. Ce petit monticule herbeux était l’unique vestige ou signe d’une abbaye de Prémontrés qui pendant quatre siècles dominait la région, depuis les flancs du Gibloux jusqu’aux vignobles du Dézaley sur les coteaux du Léman.

Je regagnai notre véhicule en silence, laissant place aux pensés qui agitaient mon esprit. Qui donc a prétendu que les moines étaient éternels comme les chênes ? Ne cédons pas à ce genre de lyrisme facile. Hormis la Parole de Dieu, si j’en crois la Bible, rien n’est éternel. Même pas la présence des Jésuites au collège St-Michel qui en furent expulsés trois siècles plus tard.

Mais la croix tient bon dans ce décor de ruines.  Même au milieu des orties. « Stat crux dum volvitur orbis » dit la devise des Chartreux. Je traduis librement : « La croix tient debout, alors que le globe terrestre tourne et tourne ». J’en tiens pour preuve le fait qu’à Marsens, sur le territoire relevant autrefois de l’abbaye d’Humilimont, s’élève aujourd’hui un Hôpital psychiatrique qui accueille les malades mentaux de toute une région. La croix demeure donc bien plantée ici avec son poids de souffrances, mais aussi avec le dévouement de ceux qui aujourd’hui soignent les malades. Et la résurrection pointe sa lumière sur ce décor de Golgotha.

Ainsi va l’Eglise. Ses institutions se transforment ou disparaissent. « Seul l’Amour demeure ! » (1 Corinthiens 13,8).

Cliquez pour agrandir : la croix sur le site de l’ancienne abbaye prémontrée d’Humilimont (photo : Madeleine Clavijo)

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