L’âme tiède du pape Pie XII

Nina Valbousquet : Les âmes tièdes. Le Vatican face à la Shoah. Ed. La Découverte.

Un ami me remet un numéro de « La Vie », hebdomadaire catholique que l’on trouvait autrefois à la porte de toutes les églises et chapelles françaises. Où donc l’a déniché mon ami ? Quand l’occasion se présentait, je ne manquais pas de le consulter. Ne serait-ce que la page qui reproduisait une de mes BD favorites, mais aussi du fait de l’intérêt et de l’actualité de son contenu. Largement répandu, je pensais alors que « La Vie » représentait la pensée commune du planisphère catholique de l’Hexagone. J’imaginais même que ce périodique avait disparu suite à l’éclatement du catholicisme classique, désormais divisé en de multiples points de vue et opinions très éloignées des questions et réponses des catéchismes grands ou petits d’autrefois.

Loin de là, puisque j’ai entre les mains un numéro récent paru au cours de la semaine du 14 au 20 mars 2024. Non sans avoir subi entre-temps une très sévère cure d’amaigrissement qui a considérablement réduit son format et son volume.

Mon ami suit avec attention l’histoire tantôt chaotique tantôt élogieuse du gouvernement du pape Pie XII face à la Shoah. Le titre de l’ouvrage fait référence à Albert Camus qui déclarait en décembre 1944 : « Notre monde n’a pas besoin d’âmes tièdes. Il a besoin de cœurs brûlants ». Selon cet écrivain, Pie XII n’aurait pas agi avec la rigueur exigée par ses convictions chrétiennes, mais mollement, en politicien et en diplomate plutôt qu’en saint.

Curieusement, la citation de Camus renvoie à deux versets bibliques bien connus. L’un extrait de l’Apocalypse : « De ma bouche, je vomirai les tièdes » ; l’autre du récit d’Emmaüs : « Notre cœur n’était-il pas brûlant quand sur le chemin il nous expliquait les Écritures ? » Quel dilemme ! Contrairement à Camus, notre historienne, comme l’historien Philippe Chenaux dont il fut question récemment sur ce blog, a pu consulter les archives vaticanes. Un travail méticuleux qui a fait baisser la tension et ramener le débat dans un climat moins passionnel. Je me souviens encore des disputes du début des années 60 suscitées par la parution du « Vicaire », une œuvre de l’écrivain allemand Rolf Hochhuth qui s’en prenait à Pie XII.

L’émoi avait gagné mon couvent dominicain de Fribourg, en particulier son prieur qui représentait le Saint-Siège auprès des organisations internationales dont le siège était à Genève.

Bien sûr, notre historienne ne conteste pas que le Vatican fût au courant de l’existence de camps d’exterminations des Juifs. De même que la plupart des États engagés ou non dans le conflit 39-45. Elle a découvert aussi que des SOS individuels ou collectifs furent adressés à la curie romaine. Non que Pie XII y fût insensible, mais la voie diplomatique lui paraissait mieux adaptée pour porter quelques fruits et parvenir à ses fins. La neutralité politique du Saint-Siège lui interdisait de faire des déclarations ou des interventions publiques qu’on aurait pu comprendre comme des intrusions interdites par une vraie neutralité.
 
Pie XII a-t-il eu raison de choisir cette voie ? L’auteure fait remarquer qu’il faut tenir compte aussi de son entourage immédiat divisé sur cette question. Et de citer le cardinal Tisserand, un juste parmi les nations ! Sa courageuse hospitalité dont bénéficieront des Juifs poursuivis sera reconnue plus tard.

Il me semble en conclusion que l’histoire n’a pas encore dit son dernier mot. Pas plus que la conscience qui se prononce sur la portée positive ou négative de nos actes. Pie XII aurait-il dû dénoncer publiquement les crimes nazis au risque de déchaîner un surcroît de violences antisémites ? A-t-il eu raison de se taire au risque de se faire traiter d’âme tiède ?

La parole est aux lecteurs de ce livre. Une réponse qui est aussi du ressort de leur conscience.