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Le Carmel du Pâquier

  • Fr. Guy

Sous l’œil du photographe et la plume du poète

Mélanie Rouiller et Jean-Dominique Humbert : Dès le matin au Carmel, éditions Faim de siècle. Bulle, novembre 2021.

Voici cent ans cette année que les filles de Thérèse d’Avila foulent le territoire helvétique et tout particulièrement le canton de Fribourg. Bien sûr, elles n’étaient pas les premières moniales à vivre en Suisse. Les bénédictines et les cisterciennes les avaient précédées depuis des siècles. Puis survinrent les dominicaines suivies aux temps modernes des capucines et des visitandines. Je ne fais allusion qu’aux monastères féminins qui survécurent à la Réforme et aux laïcisations, même si de nos jours certains font preuve d’une courageuse résilience face à la pénurie de nouvelles recrues ou à la perspective désolante de devoir mourir faute de descendance.

On n’en était pas là en 1921. Le pays de Fribourg bourgeonnait de fondations religieuses. Une éclosion ravivée par les expulsions de congrégations françaises qui avaient trouvé refuge sur les rives de La Sarine. Les carmélites ne pouvaient manquer ce rendez-vous.

Elles débarquèrent de France pour s’établir dans une ancienne résidence patricienne à Lully, petit village situé à une demie lieue d’Estavayer où florissait une communauté de moniales dominicaines et dans les environs d’un hôtel de la commune voisine de Châbles qui allait se transformer au cours de la même décennie en couvent de Dominicaines de Béthanie.

Est-ce cette proximité ou l’inadéquation des lieux qui a conduit les nouvelles venues à quitter en 1936 leur premier site pour se construire elles-mêmes en Gruyère, dans la commune du Pâquier, un monastère qui leur serait pleinement adapté.

La parution annoncée d’une étude historique sur la Carmel du Pâquier éclaircira cette question[1]. Pour l’heure, avec ce livre, voici le dessert avant le plat de résistance ! Un album de photos sans légendes excessives qui nous fait pénétrer en silence dans ce que la photographe appelle : « un ilot de sérénité ». Le poète n’apparaît qu’en exergue et en épilogue. Sa plume s’efface pour laisser place au plaisir des yeux.

Les photos ne se commentent pas. Leur but est de faire découvrir un univers inconnu ou ressusciter celui que l’on croyait avoir oublié. C’est précisément mon cas. Que de fois j’ai pris la route sinueuse qui va du Pâquier au Carmel et s’étire ensuite en chemin de montagne jusqu’aux flancs du Moléson. Une artiste photographe me fait revivre les reliefs et les couleurs de ce décor préalpin aux heures du jour et de la nuit.

Que de fois aussi j’ai célébré et prêché dans cette chapelle face à une nef passablement esseulée, mais accueillant la présence invisible des sœurs qui chantaient et priaient de leur côté. Grâce à cet album, je peux m’introduit aujourd’hui dans l’intimité de leur « chez elles ».

J’aime les voir de dos, arpentant avec peine un méchant escalier, les mains dans la pâte à biscuits, plongées dans le jus de la vaisselle ou laissant échapper d’une cafetière un flot sombre de café noir. Quant aux plus plus jeunes, j’aime les voir en pantalons pousser une brouette lourdement chargée ou sarcler le potager du monastère. Des femmes comme nos mères de jadis, les pieds dans la glèbe, l’esprit éveillé, guettant « dès le matin » la visite de Celui que leur cœur aime.

Ce livre n’est pas une hymne nostalgique ni le chant du cygne à l’approche de sa mort, mais une invitation à rechercher avec les carmélites ce qui fait sens et vie au milieu de nos turbulences. Et de trouver avec la paix du cœur la joie secrète qui en est le fruit.


[1] Cet ouvrage mettra sans doute en lumière les circonstances précises qui ont empêché en 1942 Sœur Bénédicte de la Croi (Edith Stein) à rejoindre le Carmel du Pâquier, un asile qui l’aurait préservée de périr à Auschwitz. Cet épisode douloureux a déjà été analysé par Philibert Secrétant dans : « Edith Stein et la Suisse. Chronique d’un asile manqué », éditions Ad Sole, 1997.

Au Carmel du Pâquier (photos pour cet article : la rédaction)

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