Blog

Le Déserteur

  • Fr. Guy

Une énigme en images

Non, je ne fais pas référence à la chanson antimilitariste de Boris Vian. Même s’il m’arrive d’en fredonner les premiers mots : « Monsieur le Président, je vous écris une lettre que vous lirez si vous avez le temps ».

Le Déserteur dont je parle est un mystérieux peintre, ou plutôt un imagier, comme il se définissait lui-même, et qui pratiquait son art dans une ou deux communes du Valais central dans le milieu du 19ème siècle. On le retrouva mort de froid le 9 mars 1871 dans une grange proche de Veysonnaz.

J’ignorais tout de lui jusqu’en 1960, où je rencontrai, à Veysonnaz précisément, le curé Bonvin de Fully qui prenait part comme moi à la première messe du cher frère Bernard Bonvin. Prêtre à Nendaz, ce curé avait flairé le prix et la valeur de ces images, persuadant leurs détenteurs de les lui vendre.  Ainsi dans sa cure de Fully un véritable trésor iconographique qu’il légua un jour à un musée de Sion.

Soixante plus tard, voici que Le Déserteur frappe de nouveau à ma porte. Mais cette fois-ci sous la forme d’une BD parue fin 2020 aux Editions Favre et signée par Simon/Daniel Varenne.

On ne sait rien des origines de ce personnage mystérieux appelé « Déserteur », si ce n’est qu’il naquit et grandit à Colmar, portait une identité d’emprunt « Charles Frédéric Brun », pour faire oublier sans doute son authentique patronyme. Taiseux, vivant dans les bois, couchant en toute saison sur le foin ou la paille, il avait cependant le port digne, la conversation d’un homme cultivé. Surtout, il avait « les mains blanches » qui le rendait plus apte à manier le pinceau ou rédiger des lettres qu’à traire les vaches et les chèvres.  Il n’avait donc rien d’un rôdeur de grands chemins, ou d’un trimardeur inquiétant, bien que la proximité de policiers le faisait déguerpir sur le champ et le précipitait dans la nuit au fond d’une forêt obscure.

A deux reprises, il séjourna en Valais. D’abord sur les hauts de Salvan, protégé par des chanoines de l’abbaye de Saint-Maurice – ces prêtres avaient-ils percé son secret ? – puis, quelques années plus tard, à Nendaz. Entretemps, il avait erré en Savoie, sans laisser derrière lui aucune trace de son itinéraire.

Une passion le dévorait cependant : composer et peindre des images pieuses qu’il colportait chez les paroissiens et les curés des alentours en guise de monnaie d’échange pour l’assiette de soupe, le pain et le fromage qu’on voulait bien lui offrir pour honorer son travail et l’empêcher de mourir de faim. Un art sans doute naïf, se moquant des perspectives et des paysages, se limitant à faire revivre ses saints préférés dans un décor fixé par la Légende Dorée, mais aussi fruit de son imaginaire pieux et débordant. Un peintre plus proche des iconographes que des portraitistes de la Renaissance.

Mais qui est finalement Le Déserteur ? Quel est son secret ? Romanciers, historiens, essayistes et maintenant bédistes l’imaginent à leur manière. 

On a vu en lui un officier, un notaire et même un évêque se réfugiant hors frontières dans l’anonymat pour échapper à la justice de son pays qui le poursuivait pour un homicide. Rien n’est sûr, ni certain.

La BD le présente plutôt comme un pèlerin et un pénitent qui veut expier par l’austérité de sa vie un crime connu de lui seul et que personne ne poursuit.  Prisonnier de sa culpabilité, il se punit en vivant à la dure.

Sa piété simple et profonde exprimée par ses images naïves et colorées le rapprocherait d’un franciscain mendiant et itinérant, passant de hameaux en villages, exhortant à la prière et à la conversion des mœurs.

Le Déserteur pourrait être aussi le « ravi » de la crèche de Noël. Mais les traits de son visage sont trop tendus pour oser ce rapprochement.

Le Déserteur demeure une énigme. A chacun d’imaginer ce qu’il fut et même de se l’approprier.

© Éditions Favre

Retour

Commentaires

×

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner un nom valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner une adresse email valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Google Captcha Is Required!

Vous avez atteint la limite de commentaires !

* Ces champs sont requis.

Soyez le premier à commenter