Le génie et le saint

Georges Bernanos : « Saint Dominique », Cerf, 2021, 82 pages.

Les Editions du Cerf, d’obédience dominicaine, ont pris l’excellente initiative de marquer le huit-centième anniversaire de la mort du Père des Prêcheurs en rééditant le très bref « Saint Dominique » écrit par Georges Bernanos en 1926.

L’édition précédente avait trouvé place dans « La Bibliothèque de la Pléiade : Bernanos. Essais et écrits de combat, pages 3-18, parue chez Gallimard en 1971. Le même éditeur parisien avait déjà publié ce texte en 1939 dans sa « Collection Catholique », mais l’édition originale date de 1928, deux ans après sa rédaction.

Le texte présenté cette année aux Editions du Cerf implique une préface du frère Gérard Timoner III, maître de l’Ordre des Prêcheurs et une postface du frère Nicolas Tixier, provincial de France.

L’un et l’autre font remarquer l’actualité et la profondeur de cette biographie qui certainement ne se voulait ni se présentait comme un document scientifique et qui ne pouvait se comprendre en l’isolant du contexte particulier dans lequel elle avait été rédigée.

Yves Bridel qui a écrit la notice de cette œuvre dans la « Bibliothèque de la Pléiade » (p.1319-1321) la situe dans un moment douloureux vécu par son auteur. Octobre 1926, « Bernanos est dans l’une des périodes les plus sombres et les plus décisives de son existence » (Bridel, op.cit.). L’Action française et son chef Charles Maurras dont l’écrivain se sentait proche sont condamnés vigoureusement par un cardinal français avant de l’être officiellement par le Vatican.

Les convictions politiques et chrétiennes de Bernanos sont ébranlées. Deux ans de troubles intérieurs avant la paix retrouvée avec son « Saint Dominique » où l’auteur oppose le génie au saint, celui dont l’œuvre est extérieure à lui-même et celui dont la vie et l’œuvre ne font qu’un.

Ce n’est donc pas l’histoire critique de la vie de saint Dominique qui intéresse Bernanos, mais la sainteté du personnage, faite d’humilité, d’amour et de compassion. Une vie indissociable de son œuvre, l’Ordre des Prêcheurs, son enfant. Dominique ? Un anti-Maurras en quelque sorte. « S’il était en notre pouvoir de lever sur les œuvres de Dieu un regard unique et pur, l’ordre des Prêcheurs nous apparaîtrait comme la charité même de saint Dominique réalisée dans l’espace et dans le temps, comme sa visible oraison. » (p.26)

Cet Ordre, Bernanos le discerne déjà dans le regard et le cœur blessés de cet enfant castillan qui souffrait déjà quand on lui faisait part de l’esclavage auquel étaient assujettis les chrétiens de sa province suite à un raid opéré par les Maures. Une compassion qui ira s’élargissant au cours de sa vie, des Cathares aux Cumans et jusqu’aux damnés de l’enfer.

Aucun projet préalable chez Dominique, si ce n’est de se laisser guider au jour le jour par les aléas de l’amour, jusqu’à renoncer à son rêve d’évangéliser les Cumans, préférant obéir à des impératifs charitables plus immédiats. Dans sa préface, le Père Gérard, l’actuel successeur de Dominique, relève ce fait qui devrait inspirer les Prêcheurs d’aujourd’hui : être prêts à renoncer à réaliser leurs projets personnels quand la mission de l’Ordre l’exige.

Cet écrit est largement méconnu du grand public. Il n’est même pas un chef d’œuvre, mais ouvre la voie au « Journal d’un Curé de Campagne », qui paraîtra dix ans plus tard Le curé d’Ambricourt témoignera d’une sainteté et d’une compassion comparables à celle que Bernanos pressentait chez saint Dominique.

Ajoutez l’esprit d’enfance commun à ces deux héros. Le récit que Bernanos compose autour de la mort de saint Dominique en donne une expression émouvante de transparence et de simplicité. Le saint à un cœur d’enfant.