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Lourdes : Pèlerinage du Rosaire 2021

  • Fr. Guy

Journal d’un pèlerin

Trois jours ont passé depuis le retour du pèlerin. Après une nuit blanche dans le car qui le ramenait à Genève, avec une cinquantaine de pieuses personnes de Romandie.

Et voilà que Julieta, notre femme de ménage portugaise qui veille sur moi comme si j’étais son vieux papa, me demande innocemment si les « vacances » furent agréables.

Mon pèlerinage fut sans doute « agréable », sans avoir pourtant le goût de vacances sur le sable fin. Pas trop d’activités, mais de la ferveur, de l’attention, des découvertes et une bonne grippe en guise de prime.

Que pourrais-je en dire ?

 

Tout d’abord, une immersion. Non dans les flots du Gave qui toute la semaine s’écoula paisiblement, mais au sein d’une foule humaine évaluée à plus de dix mille pèlerins.  En cette année de pandémie, ce chiffre tient du miracle. Mais à Lourdes, le mot « miracle » est un nom commun.

Qualifierais-je cette masse de retraités, la plupart avancés en âge, de « troupeau parqué pour les enfers », selon le rude langage d’un psaume que je ne finis pas de méditer ? Bien sûr, des filles d’Eve par milliers, mais aussi des couples jubilaires. Le tout recruté dans le royaume de France et de Navarre grâce au zèle des amants et amantes du Rosaire, encadrés par quelques deux cents dominicains dont le froc et le scapulaire blancs « virevoltaient » dans le paysage. Au sein de cette marée, quelques îlots de jeunesse fort bienvenus, collégiens et collégiennes poussant des fauteuils roulants, découvrant le continent de la souffrance. Paul Eluard parlait de « capital de la douleur », celle des plus jeunes en particulier.

Des cercles concentriques composaient ce rassemblement. Le Rosaire suisse animé par un comité ad hoc sous l’experte direction et supervision de nos frères Michel et Pierre fut pour moi le plus rapproché. Logés sous les ailes du « Christ-Roi », les impotents à béquilles et canne blanche portés par un ascenseur à proximité des « sanctuaires », les Suisses se retrouvaient à l’heure des repas et pour un ou deux événements particuliers. Ainsi, cette messe émouvante célébrée dans une bergerie rustique à la Cité St Pierre, autre espace « sacré » de Lourdes, mais réservé celui-là aux pèlerins démunis. Ce que nous n’étions pas, bien évidemment. Mais il est bon parfois que les riches se fassent recevoir à la table des pauvres. 

A l’intime de ce cercle helvétique, des cellules plus restreintes. Certaines familiales, comme celle formée par ma sœur, son mari et une cousine ; d’autres régionales : fribourgeoises, valaisannes et genevoises : d’autres encore régies par des affinités particulières. Des festivités unissaient l’ensemble. Comme celle en l’honneur de notre doyenne qui carillonna allègrement ses 92 ans sous nos applaudissements. Ce qui eut pour effet de rabattre de quelques degrés le niveau de ma vantardise si fière d’afficher le nombre de mes années. Naïf, j’imaginais être l’aîné des pèlerins jusqu’au jour où je rencontrai deux prêtres diocésains français, solides nonagénaires en pleine activité sur leurs terres. L’avenir appartient aux gens qui se lèvent tôt. Ou, pour reprendre une formule célèbre de Picasso alors octogénaire : « Il en faut du temps pour devenir jeune ».

Je range aussi au nombre de ces rencontres insolites et fécondes celle d’Emmanuel, un jeune prêtre rwandais en mission dans le diocèse du Havre. Et nous voilà, après une eucharistie concélébrée, transplantés au pays des mille collines. Mais les échanges les plus profonds qui sont aussi les plus secrets furent ceux que je partageai pendant plus de deux heures à la basilique souterraine avec des hommes et des femmes qui en avaient gros sur le cœur et qui tenaient à en faire l’aveu.

Mais qu’étais-je donc venu faire à Lourdes ? Prier la Vierge ? Je le fais tout aussi bien à Genève et partout où son nom est évoqué. Que ce soit à Fatima, à La Salette, à Nazareth ou Bethléem. Plus que Marie, ce sont ceux et celles qui bénéficient de sa présence qui suscitent mon intérêt et mon admiration. A Lourdes, tout particulièrement, c’est Bernadette, la fille d’un meunier ruiné contraint de faire vivre sa famille dans un cachot désaffecté. A chacune de mes visites à Lourdes je ne manque pas de m’arrêter dans ce lieu ténébreux. Et de suivre en pensée le sillage laissé par cette pauvre fille jusqu’à son « exil » à Nevers. Elle confirma à chaque étape de sa brève vie ce que la Dame lui avait confié. Je trouve dans ses réparties le même bon sens terrien et la même familiarité avec le surnaturel qui marquaient déjà les réponses de la Pucelle d’Orléans aux juges inquisiteurs qui tentaient de l’annihiler.

 

Plus que les apparitions, c’est donc le « petit peuple de Dieu » que je retrouve à Lourdes avec bonheur, agglutiné à la grotte de Massabielle. Sa foi m’interroge et m’interpelle. Elle m’entraîna un jour à égrener mon chapelet, accroupi sur les parapets qui bordent le Gave, entrevoyant avec peine dans sa niche l’image de « La Chose » qui avait d’abord surpris puis impressionné Bernadette. Perdu au milieu de ces « petits », sans costume clérical ou   religieux pour me faire valoir, je n’étais qu’un mendiant de la grâce de Dieu.

« Comblés de grâce » ou « disponibles à la grâce », tel était précisément le thème choisi par le prédicateur attitré de ce pèlerinage. Non pas le privilège réservé en exclusivité à Marie, mais celui auquel tous peuvent avoir accès, pour autant qu’ils soient disponibles à le recevoir. Je ne fus pas le seul à apprécier ces prédications brèves, claires, incisives et illustrées d’expériences empruntées à notre vie quotidienne. Un modèle pour ce genre de célébrations qui se veulent à la fois populaires et hiératiques.

Plus encore que la prédication, j’ai été saisi par la prière des Laudes chantées chaque mati dans une basilique comble et animées par nos jeunes frères. Ils surent allier la psalmodie à des compositions musicales simples et belles, entraînant la foule à s’y associer.

Par ailleurs, j’ai recueilli des témoignages émouvants de pèlerins qui découvraient la bénédiction des malades à l’issue de la procession eucharistique de l’après-midi et qui prenaient part en soirée à celle des flambeaux. Deux dévotions ancrées profondément dans le sol de Lourdes et qui à elles seules symbolisent ce lieu d’exceptionnelle ferveur.

Ne l’oublions pas non plus, ce pèlerinage était dominicain. Prêcheurs et prêcheresses devaient donc s’y faire entendre. Le choix de leurs prestations était difficile, tant les offres étaient multiples et les sujets passionnants. Une ombre toutefois domina ce bel exercice oratoire. Le fameux Rapport de la Commission Sauvé, publié au cours de la semaine, apporta une lourde et oppressante tonalité, obligeant certains conférenciers à modifier en dernière minute le contenu déjà rédigé de leur intervention. Je ne mentionne que deux moments qui m’ont paru très forts : la conférence de sœur Véronique Margron, mandataire avec les évêques de France de ce Rapport au nom de la Conférence des religieux et religieuses qu’elle préside. Et l’interview du frère Bruno Cadoré, ancien Maître de l’Ordre, conduite par notre jeune frère suisse Alexandre Frezzato. Le ton était grave, l’atmosphère tendue. Un appel au silence et à l’humilité, loin des effets de manches si prisés par certains prêcheurs en manque de célébrité.

 

Le pèlerinage se clôtura officiellement avec la messe du samedi matin célébrée sur l’esplanade de la basilique du Rosaire. Une journée et une longue nuit supplémentaires pour les pèlerins suisses. De quoi procéder aux emplettes de médailles et d’eau de Lourdes, de faire signer les cartes postales adressées à ceux qui n’ont pu participer à cette aventure spirituelle et prendre part aux derniers actes de piété collective.

Après la traditionnelle photo de groupe qui rejoindra les archives familiales - je conserve pieusement celle où figurent mes parents - ce fut la bénédiction d’un cierge imposant, symbole de nos prières aux intentions qui nous furent confiées. Nous le portâmes en procession vers un brûloir face à la grotte.  Cette cérémonie fut suivie d’un chemin de croix dans la prairie qui s’acheva par l’onction d’une quinzaine de malades avérés ou potentiels, auxquels s’ajoutèrent deux passants qui, comme Simon de Cyrène, empruntaient ce chemin. Une onction de douceur sur toutes nos plaies secrètes ou manifestes. De la tendresse pour les malades et les pécheurs que nous sommes en ce temps de détresse qui met à rude épreuve notre foi et notre santé.  Merci, notre Dame !

Merci enfin aux trois frères éminents qui m’ont repéré dans cette « foule immense » : Bruno, Eric et Nicolas. Votre geste fraternel m’a touché et réconforté. A travers vous, c’était Dominique qui me faisait signe. Un autre miracle de Lourdes.

Le sanctuaire de Lourdes (photos pour cet article : pelerinage-rosaire.org)

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