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La chapelle de Vence

  • Fr. Guy

La guerre, la maladie, la vocation

Le dernier fleurt d’Henri Matisse. Philippe Verdin. Editions du Cerf 2023, 211 pages.

A peine accueilli dans l’Ordre de saint Dominique en 1956, on me parlait de la chapelle de Vence réalisée de 1949 à 1951 par Henri Matisse. Une œuvre fortement discutée sous nos cloîtres. Détestée par les uns qui reprochaient au peintre d’avoir quasiment blasphémé en peignant le fondateur des Prêcheurs sans bouche ni lèvres pour s’exprimer. Adulée par d’autres comme un chef d’œuvre d’intériorité.

Je mis des décennies avant de m’émerveiller moi-même, Je visitai cette chapelle en solitaire, grâce à la complicité fraternelle d’un frère du couvent de Nice. Depuis lors, ce souvenir ne me quitte plus.

Est-il nécessaire de présenter le frère Philippe Verdin, auteur de ce livre ? A l’affût de tout ce qui porte de loin ou de près la marque ou le blason dominicain. Ce blog a déjà présenté sa biographie du pape Pie V, un pontife que ses proches n’ont jamais vu sourire. Le frère Philippe s’applique à lui donner une approche plus avenante.

L’entreprise est plus facile avec son dernier livre dans lequel le frère Verdin fait le récit de la rencontre d’Henri Matisse avec Sœur Jacques-Marie, « une religieuse pétulante ». Une rencontre qui redonna au peintre le goût de vivre et lui inspira son chef-d’œuvre, la chapelle de Vence.

J’ai lu péniblement le premier chapitre, partageant la critique de l’une de mes proches se plaignant que ce livre contenait beaucoup trop de longueurs. C’est vrai que j’aurais aimé savoir dès la première ligne la raison et la nature des contacts de Sœur Jacques-Marie avec Matisse. Autrement dit, le contexte historique de cette aventure qui déboucha sur l’édification de la chapelle de Vence. Par bonheur, une autre amie à qui j’avais confié cet ouvrage le lut pratiquement dans son entier en une seule nuit et ne me cacha pas son enthousiasme. Elle m’a même promis de me le lire à voix haute.

Selon elle, la religieuse avait l'habitude de livrer les malades à leur domicile. C’est ainsi que la gouvernante d’Henri Matisse malade la découvrit et la fit engager pour ce service auprès de Matisse. Leurs relations ne furent pas que médicales, mais aussi empreintes de touches artistiques et spirituelles. Matisse reprit vie grâce à cette compagnie joviale, espiègle et finalement bienfaisante. Aragon, auteur d’une biographie romanesque de Matisse (Gallimard 1998) parle d’elle comme d’un personnage de roman. A-t-il été tenté de l’écrire ?

Le second chapitre du livre fait apparaître notre Sœur Jacques-Marie. Nous sommes au début des années 40. La défaite de la France et l’occupation allemande amènent notre artiste à songer à un exil au Brésil ou aux USA où l’attendaient son fils et les amateurs d’art de New-York. Dans ce but, il rejoint St-Jean de Luz. Une très grave maladie l’oblige à renoncer à cette idée. En fait, Matisse rejettera ce projet comme une trahison envers son pays. Il retourne à Nice entouré par sa fille Marguerite et sa secrétaire Lydia. Cette dernière lui trouvera à Lyon les compétences médicales nécessaires pour le sauver de la mort. La clinique où il réside est tenue par de « charmantes religieuses dominicaines. Une complicité va naître entre le vieil homme malade et ses garde-malades en cornettes ». Convalescent, il regagne Nice et reprend ses activités.. Lydia embauche comme son garde-malade une jeune fille de vingt et un an, réfugiée avec sa famille sur la Côte d’Azur. Elle s’appelle Monique Bourgeois. Le chapitre trois sera consacré à son entrée en scène dans cette merveilleuse histoire.

Effectivement, j’apprends que Monique, d’origine lorraine, est à Vence pour se soigner d’une tuberculose. Revigorée, elle s’inscrit dans un bureau de placement d’infirmières à Nice dans le but d’aider sa famille Et de fil en aiguille, elle trouve un emploi d’infirmière de nuit auprès de Matisse, ravi de cette aide « jeune et jolie » et tout aussi attentionnée que les infirmières dominicaines qui le soignaient à Lyon. Matisse l’initie aussi à la peinture et va jusqu’à lui proposer une séance de pose qu’elle finit par accepter en lui faisant confiance quant à ses intentions.

Entre-temps, Monique, devenue infirmière professionnelle, s’engage dans le scoutisme. Surtout, elle devient à Vence Sœur Jacques-Marie.

Une amie lectrice me le raconte ainsi que l’entrée en scène des Dominicains dans cette histoire. En fait, des Sœurs dominicaines étaient présentes à Vence au Foyer Lacordaire. A flanc de colline, les sœurs tenaient un foyer pour convalescents. Monique découvre aussi la nouvelle maison de Matisse. Ce dernier obtient de sa mère qu’elle continue à veiller sur lui tout en résidant chez les Dominicaines.

Une vocation religieuse s’éveille chez Monique. Elle ne la quittera plus. Début décembre 1943, premier contact avec la communauté de Monteils responsable de la formation des Sœurs. Plus de doute, sa décision est prise. Elle revient à Nice au Foyer St-Dominique. Elle prend congé de Matisse sans lui dire que c’est le dernier adieu. Matisse apprend par Lydia ce que cache ce départ et tente de faire revenir Monique sur sa décision. Peine perdue, Monique tient bon. Elle entre au noviciat le 6 mars 1944.

En fait, leurs relations se poursuivent et s’approfondissent. Ce rapprochement les amène à parler de Dieu, de la prière, de la foi. Dans une lettre à Jacques-Marie, Matisse reconnaît que sa quête de Dieu se concrétise par la peinture.

Les Sœurs célébraient jusque-là la messe dans un garage. Avant de mourir, la vieille sœur sacristine rêve d’une nouvelle chapelle. A son chevet, Sœur Jacques-Marie dessine un vitrail de Notre-Dame de l’Assomption. C’est de ce « griffonnage » qu’est partie l’idée de la chapelle. Matisse s’enthousiasme et s’engage à réaliser cette œuvre quoi qu’il en soit et quoi qu’il en coûte. Malgré les oppositions de la supérieure et grâce à l’arrivée d’un jeune frère dominicain, ce projet prend corps.

Le 25 juin 1951, l’évêque de Nice bénit et consacre la chapelle.

Ces mots de Matisse le définissent admirablement :

« Je ne sais pas si j’ai ou non la foi. L’essentiel est de travailler dans un état d’esprit proche de la prière. Je crois quand je travaille. »

© Éditions du Cerf

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