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Maxime Chattam

  • Fr. Guy

L’Illusion

Me voilà parvenu à la dernière ligne des 460 pages de « L’illusion », un roman de Maxime Chattam paru l’an dernier chez Albin Michel.  Un défi que je m’étais donné après avoir découvert cet auteur grâce à l’émission « Lumière Intérieure » diffusée sur KTO. J’ai déjà parlé – très élogieusement – de Chattam sur ce blog, mais sans avoir lu sa dernière œuvre. Voilà qui est fait !

Cette lecture ne fut pas un pensum, puisque ce roman m’a tenu en haleine jusqu’à sa dernière ligne. Je m’interroge toutefois si le jeu en valait la chandelle. Me suis-je laissé séduire par le charme de Maxime ou par sa présentatrice ? Elle discernait dans ce polar touffu comme un soupçon de chemin d’évangile dont il fallait bien sûr détecter la trace et interpréter les symboles. Il est vrai que l’un des personnages du roman se dénomme JC (Jésus-Christ ?). Mais ce JC allait se révéler dans les dernières pages du polar comme un criminel retors, prêt à récidiver. Sa prochaine victime s’appelle Marie. Encore une référence chrétienne, mais bien mal assortie à une « nana » naïve, prête à se laisser piéger dans les filets que ses agresseurs avaient hâte de tendre sous ses pieds.

Donc, rien de ce que j’attendais et de ce qui aurait pu m’intéresser dans ce roman. Aucun élément chrétien, si ce n’est l’usage – blasphématoire ? – des deux noms précités. Plus grave, le récit ne se termine pas en happy end. Contrairement aux films du genre western, la cavalerie – chrétienne, en l’occurrence – ne vient pas sauver in extremis les assiégés et rétablir le droit et l’ordre. Non, les malfaisants poursuivent leurs forfaits en toute impunité, après avoir soigneusement fait disparaître les traces de leurs crimes. 

Que veut donc démontrer l’auteur dans sa brique littéraire ? Pour autant qu’il ait quelque chose à démontrer. Hormis son réel talent, indéniable dans son art de susciter les suspens et d’amener son lecteur dans des lieux et situations absolument inimaginables et imprévisibles.  

Je crois avoir entendu Maxime Chattam au cours de l’émission KTO affirmer que le mal dans le monde des humains est indéracinable. Dans son roman, les crimes les plus abjects se justifient (?) par l’attrait d’un bien trompeur et séduisant. Ils promettent à ceux qui les commettent une liberté jouissive sans limite. Le roman – est-ce la conviction de l’auteur ? – manifeste les racines ou le modèle de cette dérive dans les événements de mai 68 qui n’auraient connu qu’un seul interdit, celui d’interdire, précisément.

Laissons aux personnages créés par Chattam la paternité de cette hypothèse très discutable et concentrons-nous sur une autre hypothèse bien plus sérieuse. Le mal, sans aucune perspective de rédemption, ne serait pas concevable sans l’existence du séducteur qui depuis les origines du monde sème le trouble et l’illusion dans le cœur des humains. Si Maxime Chattam se défend d’y croire, reste que Lucifer, le porteur de lumière, régit l’univers malsain de la secte satanique dont l’auteur décrit les ébats et débats dans les 450 pages de son roman. Veut-il jouer avec nos peurs, réveiller nos phantasmes, alimenter nos cauchemars ? Et en tirer profit pour assurer sa survie éditoriale ?

Que pense en vérité ce père de famille qui avoue adorer sa femme et se plaint de ne pouvoir jouer autant qu’il le voudrait avec ses enfants ? A première vue, un brave parmi les braves, à qui, selon une expression surannée, on « donnerait la communion sansconfession ». Rien de satanique chez cet auteur, si ce n’est qu’il vit à merveille ce que Diderot appelait « le paradoxe du comédien ». L’artiste camoufle habilement sa personnalité sous les costumes et les masques du théâtre ou sous les mots de son roman. Il prête sa voix et sa plume à des êtres fictifs dans lesquels il ne se reconnaît pas. Mais il arrive qu’il joue son rôle avec un tel naturel que l’on peut s’interroger sur leur mutuelle ressemblance.

Enfin une suspicion qui pourrait n’être qu’un procès d’intention de ma part. Ce n’est un secret pour personne, les polars de Chattam font voler en éclats les records de l’édition. Aurait-il trouvé le bon filon qui lui rapporte des montagnes d’argent ? Si c’était le cas, pourquoi se priverait-il de l’exploiter ?  Du moment que ses lecteurs ont plaisir à le lire ?

Sur ce sujet, j’ai sous les yeux un écrit de Jérôme Meizoz, professeur associé de littérature française à l’université de Lausanne et auteur lui-même. Son livre, intitulé : Faire l’auteur en régime néo-libéral, a paru aux Editions Slatkine en 2020. Une étude passionnante qui tente de répondre à la question posée par un journaliste suisse : « Un écrivain est-il un vendeur d’aspirateurs comme un autre ? ». Cette étude s’interroge, par exemple, au succès éditorial de Joël Dicker en mettant en lumière les ressorts cachés qui font d’un livre un bestseller et d’un auteur une marque commerciale. Je m’abstiendrai de citer Chattam dans ce contexte. Le lecteur averti avisera.

© Albin Michel

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