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Maxime le Grec (1475-1556)

  • Fr. Guy

Trois mondes à explorer

Le 11 décembre 2020, notre frère Zdzisław Szmańda, assigné à notre couvent dominicain de Genève, soutenait une thèse de doctorat dans la salle du Sénat de l’université de Fribourg, point d’orgue de plusieurs années de recherches. Un sujet d’histoire de l’Eglise consacré à Maxime le Grec, personnage passablement méconnu en Occident, mais que le nouveau docteur put faire revivre du fait de ses origines slaves et surtout de sa connaissance des langues parlées aujourd’hui et autrefois dans cette zone culturelle. Polonais de nationalité, le frère Zdzisław a séjourné à Saint-Pétersbourg, à Kiev et à Yalta. Mais c’est à l’université de Fribourg au cours de son troisième cycle d’étude théologique que le frère Guy Bedouelle, alors professeur d’histoire de l’Eglise, lui rappela le nom de Maxime le Grec qui allait devenir le sujet de sa thèse.

Notre site dominicains.ch a déjà relaté la soutenance de cette thèse. L’auteur de ces lignes revient sur son sujet ou, du moins, sur son importance et même son actualité. Il doit bien sûr ses informations au frère Zdzisław, mais il ne les publie que sous sa responsabilité.

Impossible de situer Maxime sans brosser – très sommairement – un pan d’histoire auquel il appartient. Nous sommes donc à Florence au tournant des 15ème et 16ème siècle. Plus précisément sous le règne des Médicis dont le représentant le plus fameux fut Laurent le Magnifique (1449-1492), Cette famille seigneuriale richissime fut agent et mécène de la Renaissance toscane qui fit exploser dans la ville et sa région le nombre d’artistes, d’architectes, d’écrivains, de poètes, de philosophes et de chercheurs en tout genre, atteints de la fièvre de la nouveauté, opérée par une césure d’avec l’époque médiévale précédente.

Ce foyer bouillonnant d’art et de culture ne pouvait qu’attirer les jeunes assoiffés, même hors d’Italie, pressés eux aussi de boire à cette source. Ce fut sans doute le cas du jeune Maxime, originaire d’Epire, province de l’empire byzantin conquise par les Ottomans au milieu du 15ème siècle. On le fait naître dans une ville de cette région en 1475.

Contrairement à une idée reçue qui prône une rupture absolue de relations entre Byzance et Rome suite à la fulmination d’excommunications réciproques en 1054, les communications ne furent jamais totalement rompues entre les deux Eglises sœurs. On ne parla de schisme qu’après le sac de Byzance par les Vénitiens lors de la 4ème croisade. Mais que d’initiatives – souvent mal reçues, il est vrai – pour rétablir la concorde entre les deux poumons de la même Eglise ! Pensons aux divers conciles qui se sont donnés cet objectif : Lyon, Ferrare, Florence… La prise de Byzance en 1453 par les Ottomans ne fit qu’accentuer ce mouvement. Nombre de jeunes Grecs, pour ne pas tomber sous le joug de l’islam, se réfugièrent en Italie voisine, notamment à Florence. Ils pouvaient être reçus dans une institution fondée par l’un des leurs (Janus Lascaris) qui facilitait leur insertion locale en les initiant à la langue et à la culture latines. Maxime dut bénéficier de cet accueil dès son arrivée en Toscane probablement en 1492.

Cette période florentine fut aussi marquée par la prédication du dominicain réformateur Jérôme Savonarole (1452-1498) condamné au bûcher un jour de mai 1498, face au Palazzo Vecchio, sur l’ordre de l’inquisition agissant sous le mandat du pape Alexandre VI, de sinistre mémoire. Comme tant d’autres jeunes, notre Maxime a dû être impressionné par Savonarole. Est-ce pour cette raison qu’il devient novice au couvent St-Marc, un des phares de la réforme dominicaine en Italie ? Est-ce par dépit qu’il abandonna ce parcours après quelques mois seulement, ne supportant pas le sort odieux réservé à son maître ? On ne le sait trop. De toute façon, on perd sa trace pour le retrouver quelques années plus tard au Mont Athos, moine au monastère Vatopedi. Depuis un certain temps les moines du Mont Athos développaient des contacts avec ce qui allait devenir « la troisième Rome » sur les rives de la Moscova.

Depuis sainte Olga (+969) et le baptême du prince Vladimir en 980, la Rus a choisi le christianisme véhiculé sur les rives du Dniepr par des émissaires venus de Constantinople. La conversion de l’ensemble du territoire russe prendra quelques siècles. Entretemps, les orthodoxes russes ont besoin de s’alimenter aux sources de l’Orient chrétien. Maxime fut le premier des moines athonites à traduire ces œuvres. En Moscovie régnait alors le prince Vassili III (1479-1533), père d’Ivan le Terrible (1530-1584), premier tsar de Russie.

Le contact littéraire avec la Moscovie entraîne en 1518 notre Maxime à s’y déplacer et à y passer le reste de sa vie. Une vie monastique bien exposée. Il poursuit à Moscou son activité de traducteur, notamment le Psautier, et engage sa plume dans des œuvres polémiques dirigées contre les Latins, les Juifs et les musulmans dans le but de sauvegarder l’orthodoxie. L’orthodoxie de Constantinople évidemment. Mais la Russie s’éveille et ses chefs se voient bien dans le costume et l’apparat de l’ancien Basileus de Constantinople, avec une cour épiscopale à leurs bottes. D’autant plus que les Turcs dominent désormais la Corne d’Or. Déjà les prolégomènes d’un conflit de pouvoir entre deux patriarches rivaux, hélas revitalisé de nos jours. Maxime – le Grec ! – en fait les frais. Un procès d’inquisition fut ouvert contre lui. On suspecte non seulement ses origines grecques, la légèreté de ses connaissances linguistiques slavonnes, mais surtout sa liberté de parole à l’encontre de l’inconduite des princes et du clergé. Faute de mieux, on l’accuse d’hétérodoxie et même de sorcellerie. On l’enferma dans divers monastères, privé de quoi lire et écrire. De fortes pressions diplomatiques mirent fin à sa disgrâce. Et c’est dans le fameux monastère de La Trinité St-Serge qu’il acheva sa vie en 1533. Des pèlerins viennent encore se recueillir devant sa tombe. Depuis 1988, l’Eglise russe le reconnaît comme un saint, fêté le 21 janvier selon son calendrier.

Nous disposons d’une édition critique de ses œuvres dont les trois premiers tomes ont paru à Moscou et à Novosibirsk.

Actuel Maxime le Grec ? Il ne fut certainement pas un parangon de l’œcuménisme tel qu’on l’entend aujourd’hui. Mais tout de même un homme que les circonstances ont plongé dans trois cultures chrétiennes différentes. Les échanges auraient pu être significatifs s’ils n’avaient pas été contenus et contraints par un dogmatisme et un nationalisme étroits. Mais n’est-ce pas ce que nous vivons encore de nos jours ? En dépit de nos désirs d’universalité et de nos rêves de fraternité (Fratelli tutti !), nous n’évitons pas le piège qui nous enferme dans nos frontières locales et nos étroitesses d’esprit.

Dommage pour Maxime ! L’aventure universelle était bien partie pour ce Grec réfugié dans la Florence de la Renaissance. Mais l’intolérance de tout bord, y compris celle de Savonarole, lui fut fatale. Malgré son zèle et sa générosité. Un exemple ? Sans doute. Si ce n’est à suivre, du moins à méditer.

Maxime le Grec (image : Wolfymoza/Wikipédia. Ce fichier est sous licence Creative Commons Attribution-Share Alike 4.0 International license. L'image a été recadrée.)

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