Blog

Multilatéralisme et souveraineté nationale

  • Fr. Guy

Un document du frère Luc-Thomas Somme

Voici le troisième volet de mes réflexions concernant la Délégation de notre Ordre auprès du Conseil des Droits de l’Homme et des autres institutions onusiennes présentes à Genève.

Mes deux précédents billets ont paru les 8 et 11 novembre derniers sur mon blog et sur le site de la Province dominicains suisse. Les internautes peuvent aussi consulter le « Rapport annuel 2019 » publié par cette Délégation. Ce Rapport est introduit par le frère Gerard Francisco P. Timoner III, maître de l’Ordre des Prêcheurs (un.op.org).

La crédibilité de l’ONU et tout particulièrement celle du Conseil des Droits de l’Homme souffrent des tensions inévitables entre le pouvoir jaloux des Etats et les engagements internationaux auxquels ils ont pourtant souscrit.

Le respect des droits humains en fait souvent les frais. Comme si le fait de les avoir signés dispensait de les observer. Une analyse plus large révélerait la même tension entre bien privé et bien commun à l’intérieur d’une même nation et, pour faire court, à l’intérieur d’une même communauté dominicaine.

Le frère Luc-Thomas Somme, expert au service de notre Délégation à l’ONU, vient de communiquer à la famille dominicaine un document pertinent sur cette question intitulé : « Multilatéralisme et souveraineté nationale ».

Ce texte se termine par sept questions précises adressées tout d’abord au personnel académique dominicain (professeurs, chercheurs, étudiants) et plus généralement à tous ceux et celles qui veulent réfléchir à ces problèmes qui investissent non seulement le domaine public, mais aussi notre sphère privée. Gageons qu’il se trouvera bien un frère ou une sœur pour y répondre (contact@un.op.org).

Voici donc la teneur du document du fr.Luc-Thomas Somme :

« Dès la création de la Société des Nations le désir de paix a conduit à espérer beaucoup du multilatéralisme pour préserver l’humanité d’une nouvelle guerre mondiale. Dans le même temps il n’a cessé de se heurter à des critiques théoriques et à des obstacles pratiques. Faute de vraie gouvernance mondiale, efficace et incontestable, il ne reste en effet comme possibilité qu’une voie contractuelle, celle par laquelle les Etats s’obligent librement, au regard de tous les autres, à assumer les conventions, les traités et les contrats qu’ils assument de signer.

Même si tout ce qui est signé n’est pas pour autant ratifiée ni exécuté, l’expérience montre qu’il est tout de même préférable qu’un Etat s’engage en présence des autres plutôt que de ne se reconnaître aucune entrave dans son action. La protection et la promotion des droits de l’homme peuvent ainsi espérer beaucoup du multilatéralisme : le regard des autres Etats et des ONG limite l’omnipotence et l’impunité des totalitarismes. Mais il n’est pas moins vrai que la solidarité entre ces derniers limite à son tour le multilatéralisme : il suffit pour cela d’en appeler contre le respect des droits de l’homme au respect de la souveraineté des Etats, de leur culture, de leur sécurité nationale, etc. Le Conseil des Droits de l’Homme, à Genève, est le théâtre habituel de ces joutes, où des postures figées non dépourvues d’agressivité verbale peuvent aussi bien compromettre que garantir les équilibres politiques internationaux.

Il semble que l’on se trouve devant le dilemme soit d’un multilatéralisme puissant qui empiète sur la souveraineté des Etats soit de souverainetés des Etats suffisamment puissantes pour réduire le multilatéralisme à l’impuissance. Les grandes conférences climatiques sont un exemple actuel qui montre la faiblesse du multilatéralisme lorsqu'il faut traiter rapidement et concrètement des questions qui nous affectent tous, comme le changement climatique. Les mesures unilatérales de fermetures des frontières prises par certains Etats lors de la croissance de la pandémie COVID-19 ainsi que les critiques adressées à l’OMS dans le début de la gestion de la crise ont porté aussi atteinte à la crédibilité du multilatéralisme, même si la critique lui rend aussi indirectement hommage : regretter que le multilatéralisme n’ait pas été assez à la hauteur des espérances qu’on lui portait peut très bien mener à souhaiter renforcer celui-ci pour qu’il soit plus efficace à l’avenir.

A l’ouverture de la 43ème session ordinaire du Conseil des Droits de l’Homme le Secrétaire Général de l’ONU, António Guterres, a déclaré : « La souveraineté demeure un principe fondamental des relations internationales. Mais la souveraineté nationale ne peut pas être un prétexte pour violer les droits de l’homme. Nous devons surmonter la fausse dichotomie entre les droits de l’homme et la souveraineté nationale. Les droits de l’homme et la souveraineté nationale vont de pair. La promotion des droits de l’homme renforce les États et les sociétés, renforçant ainsi la souveraineté. (...) Le multilatéralisme doit être plus inclusif, s’inscrire davantage en réseaux et s’articuler autour des droits humains. »

La nécessité du multilatéralisme est particulièrement notable en matière de droits de l’homme. Lorsqu’un Etat viole en effet les droits de ses propres citoyens, la dénonciation de ces faits par les organisations de la société civile est sans doute nécessaire mais elle peut être limitée par la pression de l’Etat en question et il importe que celui-ci rende compte de ses actes à la communauté des Nations. Si celle-ci est parvenue à formuler, lors de l’assemblée générale de l’ONU de 2005, une responsabilité commune de protéger tout citoyen dont les droits sont lésés, l’Etat incriminé objecte habituellement qu’il y a ingérence dans les affaires d’un Etat souverain.

Le thème est donc de haute actualité. La question peut dès lors se poser ainsi : comment éviter que le nécessaire respect de la souveraineté des Etats puisse être utilisé contre le multilatéralisme en réduisant ainsi à l’impuissance l’action de l’ONU ?

En conséquence une investigation, à partir de nos ressources intellectuelles propres, des questions suivantes est proposée :

L’Eglise catholique a-t-elle, notamment en sa pensée sociale mais peut-être aussi en ecclésiologie, assumé cette tension entre multilatéralisme et souveraineté ? Y a-t-il une antériorité ou une priorité d’une des notions sur l’autre ? Y a-t-il une spécificité catholique en la matière par rapport aux autres confessions chrétiennes ?

La souveraineté est un concept de philosophie politique qui a été théorisé (notamment par Jean Bodin). Le multilatéralisme jouit-il d’un pareil statut ou relève-t-il d’une visée essentiellement historique et pragmatique ?

La tradition dominicaine a-t-elle quelque chose de spécifique à apporter à ce débat ?

Comment peut-on caractériser les limites à la souveraineté ? Qui les détermine, les reconnaît ou les crée ? Comment varient-elles ?

A supposer que multilatéralisme et souveraineté soient inversement proportionnels, à qui revient d’arbitrer la place du curseur départageant leurs domaines ?

Les critiques à l’égard du multilatéralisme sont-elles conjoncturelles ou pointent-elles une faiblesse intrinsèque ? En conséquence faut-il s’efforcer de le réformer, de l’accroître ou de le remplacer ?

La tension entre multilatéralisme et souveraineté est-elle réelle et inéluctable ou s’agit-il seulement d’un alibi de mauvaise foi d’Etats qui prônent les droits de l’homme au-dehors pour mieux les violer chez eux ? »

(Communiqué par frère Guy Musy op)

Luc-Thomas Somme (image : @LThSomme | Twitter)

Retour

Commentaires

×

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner un nom valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner une adresse email valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Google Captcha Is Required!

Vous avez atteint la limite de commentaires !

* Ces champs sont requis.

Soyez le premier à commenter