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Nos cousins Prémontrés

  • Fr. Guy

Après neuf cents ans

Il faut être un fin connaisseur des habits religieux pour distinguer à l’œil nu un dominicain d’un prémontré.

L’un et l’autre sont vêtus de blanc, mais le capuce du prêcheur devient sur les épaules du prémontré un véritable camail, arborant une croix pectorale quand celui qui le porte est un abbé mitré et crossé. Les uns et les autres appartiennent à un ordre canonial, héritiers lointains de saint Augustin qui leur a donné sa Règle.

Chacun sait que Dominique fut chanoine régulier avant de devenir prêcheur. Cent ans plus tôt, Norbert de Xanten (1080 ? – 1141) avait fondé un ordre canonial dénommé « prémontré », du nom du lieu (Est de la France) où il avait établi sa première abbaye en 1120. Ses chanoines et leurs confrères ne furent pas sans influencer les premières constitutions des Prêcheurs, notamment la fidélité à l’office choral et les exigences de la vie commune. Le statut de prêcheur ajouta l’itinérance, la pauvreté et le refus de charges honorifiques. Il n’y eut dans notre histoire dominicaine qu’un seul frère qui prit le titre d’abbé. Ce ne fut qu’un épisode sans lendemain.

Il se fait donc que nos cousins prémontrés célèbrent cette année leurs neuf cents ans. Les dominicains, de cent ans leurs cadets, leur doivent donc une profonde révérence. Mais notre histoire, aussi bouleversée que la leur, a tout de même produit davantage de fruits qui demeurent. Ne survivent en effet que deux abbayes de prémontrés sur le sol français : celle de Mondaye en Normandie et celle de Saint-Michel du Frigolet en Provence que Daudet puis Fernandel firent connaître au loin sous les traits – imaginaires ? – du frère Gaucher qui au prix de son âme distillait un fameux élixir pour subvenir à la banqueroute de sa communauté.

La Romandie ne demeura pas à l’écart de l’expansion rapide des « Norbertins ». Du moins jusqu’à l’invasion de notre contrée par les armées révolutionnaires françaises à la fin du 18ème siècle, en passant par la Réforme protestante et même par le régime patricien de certains cantons. Quelques vestiges témoignent ici et là de périodes plus glorieuses.

Et tout d’abord la puissante abbaye de Bellelay, fondée en 1136, ruinée par les soudards révolutionnaires de 1797 et dont les restes furent attribués aux Bernois par le Congrès de Vienne (1814-1815). De très beaux restes en effet qui abritent encore aujourd’hui une clinique psychiatrique, tandis que l’église abbatiale heureusement restaurée donne lieu à des concerts et des expositions. La juridiction et les possessions de Bellelay s’étendaient bien au-delà de son site franc-montagnard. Et que dire alors de sa « tête de moine », un crâne fromageux que l’on rase en se servant d’une « girolle » inventée à cet effet par un génie local ?

Toujours dans le Jura, mais dans la vallée de Joux, un village persiste à se dénommer « L’Abbaye ». Ultime vestige avec la tour du temple d’une abbaye prémontrée fondée en 1126 et dont le dernier abbé passa à la Réforme en s’appropriant les biens de l’abbaye. C’était sous le régime bernois maître du pays de Vaud depuis 1536.

Petit bijou de verdure, de campagne et de forêt sur les hauts de Neuchâtel, Fontaine-André témoigne à son tour d’une présence norbertine à partir de 1143. Propriété de la seigneurie de Neuchâtel depuis la Réforme du 16ème siècle, l’abbaye de Fontaine-André passa d’acquéreur en acquéreur et finit par tomber dans l’escarcelle des Frères des Ecoles chrétiennes présents dans cette ville depuis plus d’un siècle. Les disciples de saint Jean-Baptiste de la Salle en firent un lieu de repos, de prière et de méditation. Leur effectif réduit ne leur permettant plus d’assumer l’animation de ce site, ils durent à leur tour s’en défaire récemment. A notre plus grand regret.

Que reste-t-il de l’abbaye d’Humilimont sur les hauts de Marsens en Gruyère ? Humilmont, abbaye filiale de Joux, fut fondé autour de 1160. Les documents d’archive parlent d’une très riche exploitation de terres agricoles et viticoles confiées à des frères convers ou à des serfs, tandis que les chanoines desservaient les paroisses voisines. A ses origines, l’abbaye d’Humilimont hébergeait aussi une communauté de chanoinesses norbertines qui émigrèrent à Posat sur une propriété de l’abbaye-mère.

En 1580, coup de théâtre. Les autorités patriciennes – catholiques – de Fribourg décident de supprimer l’abbaye d’Humilimont et de confisquer ses biens qui devraient servir à l’installation à Fribourg des Jésuites chargés de la fondation du Collège St-Michel. Le même régime obtint deux siècle plus tard l’autorisation papale de séculariser la chartreuse de La Valsainte (heureusement rétablie depuis lors) pour dédommager l’Etat de Fribourg des frais d’hébergement de l’évêque de Lausanne chassé de sa ville épiscopale en 1536. Et je m’abstiendrai de tout commentaire.

L’histoire des Prémontrés sur nos terres romandes est riche d’enseignements. Elle résonne comme la comptine des petites marionnettes qui font : « trois petits tours et puis s’en vont ». Un départ sur les chapeaux de roue, suivi d’une retombée humiliante. Alors que les paraboles nous parlent du Royaume de Dieu comme d’une minuscule semence à peine visible enfouie au profond de la terre et qui prend son temps pour germer.

Le grain de blé doit d’abord mourir pour porter du fruit. De nos jours, les Prémontrés ne sont pas les seuls religieux à méditer ce verset d’évangile. Il y va de leur résurrection.

Saint Norbert (à droite) reçoit la règle augustinienne de saint Augustin d'Hippone. D'après la « Vita Sancti Norberti », manuscrit du 12e siècle. Wikipédia.

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