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Le printemps dans une autre vie

  • Fr. Guy

Lettres du Frère Luc de Tibhirine

Frère Luc : Tu verras éclater le printemps. Lettres à son ami Georges Guillemin 1961 – 1996. Textes et notes par Mgr Teissier (+), François Guillemin, Pierre Laurent et Marie-Dominique Minassian.

Les Ecrits de Tibhirine – Lettres I. Editions du Cerf, Bellefontaine, Bayard 2021, 196 pages.

Est-il encore nécessaire de présenter le frère Luc (Paul Dochier), le frère-toubib du monastère de Tibhirine en Algérie, né en 1914 à Bourg-de-Péage dans la Drôme, assassiné en 1996 ?

Luc avait 82 ans quand un commando islamiste vint l’enlever avec six frères de son monastère trappiste dans la nuit du 26 au 27 mars 1996. Incarné par Michaël Lonsdale dans le film inoubliable « Des hommes et des dieux », on l’aperçoit au sein d’une colonne de religieux, boitillant sur une plaque de neige, soutenu par son prieur Christian de Chergé, entouré par quelques jeunes hommes enturbannés et armés. La suite de cette sombre histoire est partiellement connue : on retrouva deux mois plus tard la tête de Luc et celles de ses frères exposées au bord d’une route, non loin de la ville de Médéa, voisine de leur monastère de Tibhirine.

Et voilà qu’on publie aujourd’hui 91 lettres signées par le frère Luc adressées à son vieil ami Georges Guillemin, mais aussi à la famille de Georges, tout particulièrement à son épouse Geneviève après la mort de son mari survenue en 1994. Trente-cinq années de correspondance qui témoigne d’une amitié plus ancienne que ces documents écrits. Elle est née à Lyon au début des années 30, à la « Maison des Etudiants Catholiques » où Georges et Paul (le futur Luc), étudiants en médecine, étaient pensionnaires.

Après la mort du frère Luc, ces Lettres conservées dans la famille Guillemin furent confiées à Mgr Teissier, archevêque émérite d’Alger, qui prit l’initiative de les annoter dans l’espoir de les voir un jour publiées. Un projet qui sera mené à son terme après le décès du prélat par un groupe de personnes proches du frère Luc et des destinataires de ses lettres. Parmi elles, je présume que l’apport de Marie-Dominique Minassian fut décisif. Depuis des années cette chercheuse universitaire s’emploie à éditer les textes, les journaux, les homélies et autres propos des moines de Tibhirine.

Je me limite dans cette note bibliographique à présenter ces Lettres sous trois aspects qui m’ont le plus intéressé et même touché : la source spirituelle à laquelle boit le frère Luc, sa relation avec la famille Guillemin et sa vision de l’Algérie. Ecrites très sobrement, parfois sous formes de billets, ces documents ne s’attardent pas à évoquer les aléas de la vie communautaire à Tibhirine. Ils sont avant tout le reflet des activités et de la pensée d’un moine particulier qui a choisi de vivre dans ce monastère.

A plusieurs reprises, Luc se plait à circonscrire les trois domaines qui ont marqué sa longue vie à Tibhirine : le dispensaire, la cuisine et les malades, devenus avec le temps pauvres et même misérables. Il s’est même amusé un jour à calculer le nombre de ses consultations qui se chiffrent par centaines de milliers.

A la base de cette vie donnée, non pas une idéologie humanitaire, mais la recherche de Dieu, ou plutôt, l’accueil d’un Dieu qui le recherche. Un Dieu que Luc découvrira de plus en plus dans le visage des pauvres et des malades qui peuplent son quotidien.

Aucune jouissance ni plaisir immédiats, sauf le bonheur promis après sa mort et qu’il appelle « résurrection ». Cette perspective, qui à d’autres pourrait paraître morbide, est pour lui source de ténacité, de résilience et de force. Quels que soient les aléas de la vie, quelles que soient les morts et les violences à traverser, la résurrection est au bout du tunnel. Cette foi est la seule consolation que Luc offre aux éprouvés. Il se réjouit parfois d’en voir comme une image prophétique dans les amandiers du jardin de son monastère qui fleurissent sous la neige, annonçant la fin de l’hiver et le printemps qui vient.

La relation très fidèle qu’entretient le frère Luc avec la famille Guillemin pourrait être un baume terrestre à cette spiritualité si éloignée des plaisirs et des joies de ce monde. Sans aucun doute. Quoi qu’il en paraisse, Luc a besoin d’amitié et même d’affection. Son style en témoigne. La maladie d’Alzheimer dont est affecté Georges, son ami de toujours, et la mort qui s’ensuivit, le terrassent. Il se voit désormais vieux, malade et usé, comme un mur qui s’effondre et qui laisse la mort s’engouffrer dans les brèches.

Jusqu’au terme de son voyage, il maintiendra le contact avec la famille Guillemin. Par téléphone, pour entendre la voix de Georges qui ne peut plus écrire, avec Geneviève, sa veuve, sa famille et leurs vieux amis communs. Il ne cesse de les solliciter comme un moine mendiant pour pouvoir soigner, habiller et même chausser ses protégés. Luc a beau être moine ; il demeure un humain. Et je crois le comprendre.

Et sa relation avec l’Algérie ? Pour avoir vécu quelques cinquante années sur cette terre, on peut imaginer qu’elle lui était chère et même vitale. Et pourtant quelles souffrances, le plus souvent muettes, de la savoir en ses dernières années à feu et à sang !

Pourtant, quelle discrétion sur ce sujet dans sa correspondance ! Et-ce par respect pour le pays dont il est l’hôte ? Est-ce pour ne pas éveiller la censure ou susciter des représailles qui pourraient mettre en danger la survie de son monastère ? Jamais il ne fait allusion à la nature du régime politique algérien, pas plus qu’il ne dénonce les responsables des troubles qui ensanglantent ce pays à la fin du siècle dernier. Mais alors des expressions générales où il est question de violence, d’insécurité, de corruption dont les plus faibles font les frais. Jamais Luc ne parle clairement d’islam ou d’islamisme, pas plus que de dictature armée. Une seule référence à Pascal pourrait le suggérer. Le célèbre penseur cité par lui affirmait que les guerres les plus meurtrières étaient celles qui se faisaient au nom de la religion. Que le lecteur sache donc lire ses lettres entre leurs lignes ! Le frère Luc n’en dira pas davantage.

Ce qui est certain et manifeste est que les pauvres jusqu’au jour de son enlèvement demeureront accrochés à sa blouse médicale. Il les aura aimés « jusqu’à la fin ». Un amour sans limites ni conditions. L’Amour même qui conduisit Jésus à mourir pour les siens. 

Fleur d'amandier (détail), Vincent van Gogh, 1890. (image: tainaster@gmail.com/Wikipédia. Cette image est sous licence internationale Attribution-ShareAlike 2.0 Generic (CC BY-SA 2.0))

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