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Pèlerinage fribourgeois

  • Fr. Guy

Norbertines, Jésuites et Père Apollinaire

Ma récente chronique consacrée à la croix enfouie dans les orties signalant l’emplacement de l’ancienne abbaye d’Humilimont en pays de Gruyère m’a valu une remarque. Pourquoi n’ai-je pas parlé de la chapelle de Posat reconstruite par les Jésuites qui ont hérité des biens d’Humiliont ? Histoire de réhabiliter la Compagnie de Jésus que j’aurais à mon corps défendant vilipendée sur mon blog. Pourquoi pas en effet ?

Posat, à son origine, ne comptait que deux ou trois fermes et une chapelle sise à quelques lieues de Fribourg dans le creux d’un vallon arrosé par La Glâne, affluent de La Sarine. Ce hameau tomba dans la corbeille du mariage que contracta Pierre Canisius avec les patriciens de la ville de Fribourg qui lui demandèrent en contrepartie de construire le collège St-Michel. Posat, propriété d’Humilimont, tomba tout naturellement dans le gousset des Jésuites.

Les fils de saint Ignace ne furent pas les premiers religieux à occuper les lieux. Bien avant eux, les moniales de l’Ordre Prémontré (Norbertines) avaient leur monastère à cet endroit, après un essai de vie commune avec leurs frères d’Humilimont. Si « la croix aux orties » désigne l’emplacement de l’abbaye des frères, l’enseigne de « La Croix d’Or » signalise celui de leurs sœurs moniales. Plus précisément, là où se déguste de nos jours un fameux « poulet au panier » qui attire les gourmets de toute une région.  Ces charmants convives sont-ils conscients qu’ils foulent ce qui fut autrefois un lieu de prière ? Rassasiés des biens de ce monde, ont-ils encore la force de pousser la porte de la chapelle ou se laver les yeux à la fontaine « miraculeuse » qui, en contrebas, attend leur visite ?

Les Jésuites, je présume, durent abandonner leur résidence de Posat suite à la suppression de leur Compagnie en 1773. Y retournèrent-ils après son rétablissement en 1814 ? Pour une courte durée, si c’était le cas. Quelques années plus tard en effet, ils durent subir les représailles des vainqueurs de la guerre du Sonderbund de 1847 qui les expulsèrent du territoire helvétique.

Un autre religieux prit leur relève. Non pas un Prémontré ou un Jésuite, mais un homme du terroir, Apollinaire Morel, capucin de son état. Originaire de Posat, il naquit en 1739 à Seedorf dans la paroisse de Prez-vers-Noréaz où il reçut le prénom de Jean-Jacques le jour de son baptême.

Apollinaire (son nom religieux) continue d’habiter la chapelle de Posat. Depuis sa béatification en 1926, il figure sur un tableau qui surmonte un autel latéral. Massacré le 3 septembre 1792 avec quelques trois mille malheureuses victimes dans l’ancien couvent des Carmes de Paris. Il est donc difficile de recueillir ses reliques, mais les témoignages de ceux qui l’on connu sont édifiants.

Après une formation de base chez au collège St-Michel, il prend l’habit de saint François dans l’Ordre des Capucins dont les couvents abondent alors dans les cantons catholiques. Il connaîtra de multiples assignations et assumera des postes de responsabilité.

Mais le souffle des « Lumières » et des « Encyclopédistes » finit par gagner les plus modestes bourgades de la Suisse catholique. A Stans, au cœur des Waldstätten, le Père Apollinaire, directeur d’école, est chahuté au cours d’un cortège de carnaval qui tourne en dérision son esprit et ses mœurs rétrogrades. N’en pouvant plus, il obtint de ses supérieurs son déplacement à Paris, dans l’attente d’un envoi en mission d’outremer où il espère retrouver la paix. En réalité, notre capucin passera de Charybde à Scylla !

Apollinaire arrive à Paris en plein tumulte révolutionnaire. Il sert de chapelain aux catholiques germanophones dans l’attente de son départ en mission. Fidèle à ses convictions, il refuse de prêter serment à «la constitution civile du clergé ». Son nom figure dès lors sur la liste des « prêtres réfractaires », ennemis de la République. Quand la révolution se transforma en « terreur », le Père Apollinaire se livra lui-même pour ne pas mettre en péril ceux qui discrètement l’hébergeaient. Enfermé aux Carmes avec 191 prêtres et religieux, il est massacré avec eux le 3 septembre 1792.

J’entre dans la chapelle et me recueillis devant son image. Me souvenant aussi de tous ceux et celles qui depuis des siècles ont prié en ce lieu. Je jette un regard furtif sur les villas qui de nos jours poussent comme des champignons autour de cette chapelle. Ceux qui les habitent connaissent-ils son histoire ? Savent-ils que ses portes leur sont ouvertes ?

A moins qu’ils n’éprouvent le même haut-le-cœur que je ressentis à la lecture de l’affiche placardée à l’entrée : « Pas de messes jusqu’à nouvel avis ! ».

No comment !

Chapelle Notre-Dame, Posat (photo : Wikipédia/WWHenderson20. Cette image est publiée sous licence internationale Attribution-ShareAlike 3.0 Unported (CC BY-SA 3.0))

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