Philippe Le Bel – Boniface VIII

« Philippe le Bel » : Scénario de Mathieu Gabella, avec le conseil des historiens Etienne Anheim et Valérie Theis et le concours du dessinateur Christophe Regnault, BD parue aux Edition Glénat en 2019 et présentée par Le JournalLe Monde dans la collection « Les grands personnages de l’histoire en bandes dessinées ».

De Philippe le Bel, je n’avais retenu que la fameuse légende de la gifle qu’aurait flanquée un jour ce roi de France à la figure du pape Boniface VIII dans sa résidence d’Anagni. Une somme d’« à-peu-près », de clichés et même d’erreurs, rectifiés par cette BD relue par des historiens compétents et dont les dessins tentent de reconstituer au plus près le cadre de l’époque. Fidèles en cela à des documents iconographiques et archéologiques reconnus. Un feuillet de cinq pages à la fin de la BD donne un aperçu de ce que fut le règne de Philippe IV, dit « Le Bel », et informe sur la fiabilité des sources utilisées pour le décrire. Ces universitaires précisent que leur fonction n’est pas d’écrire l’histoire, mais de la faire comprendre avec intelligence.

Philippe IV (1268 - 1314), petit-fils de saint Louis canonisé par son ennemi juré Boniface VIII, est un des rois de France à avoir connu un des plus longs règnes. Il n’en profita pas pour s’enrichir de nouvelles provinces conquises sur le dos de ses voisins, mais pour faire la guerre à des vassaux qui ne respectaient pas son autorité qu’il prétendait être absolue. Mais d’argent, le nerf de la guerre, le beau Philippe n’en avait guère. Conseillé par des financiers retors, il fit main basse sur la fortune des Juifs qu’il expulsa de son royaume, sur celle des Templiers dont il fit périr sur un bûcher le Grand Maître Jacques de Molay, sur ses barons écrasés de taxes royales et finalement sur les biens d’une Eglise qu’il voulait mettre à genoux. De là, le conflit avec le pape Boniface, désireux lui aussi de faire reconnaître son autorité absolue avant de sauvegarder les possessions des évêchés et des abbayes du royaume de France.

En fait, ce fut la confrontation de l’autorité de deux monarchies prétendues absolues, recouvrant le même territoire pour l’exercer. Nouvel épisode de la querelle des investitures issue de la réforme grégorienne qui fit des clercs les seigneurs des laïcs, fussent-ils rois ou empereurs. Mais, cette fois-ci, le conflit ne se termina pas à Canossa par l’amende honorable du prince, mais à Anagni où le pape fut fait prisonnier de son rival. Contrairement au cliché largement répandu, Guillaume de Nogaret, l’émissaire de Philippe, ne porta pas la main sur la personne du pape, considérée comme « sacrée ». Ce qui n’empêcha pas le pontife de mourir de déshonneur ou de dépit dans les semaines qui suivirent cet incident.

L’intérêt de cette BD est de resituer dans un genre littéraire inattendu – certains diraient inapproprié – un conflit entre deux « pouvoirs » qui ont marqué l’histoire des relations entre Eglise et régime civil. La France vient d’en vivre les remous dans la contestation épiscopale des mesures sanitaires imposées aux cultes par l’Etat et la Suisse du fait de l’intervention soulignée d’institutions catholiques en faveur de l’initiative pour des multinationales responsables. Le conflit connut au cours des siècles des issues bien différentes : création en Angleterre et même en France (Eglise gallicane) d’épiscopats à la botte du souverain, loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat, promotion constitutionnelle de la laïcité, etc. Et, du côté de l’Eglise, depuis Vatican II et tout particulièrement avec le pape actuel, mise en question de la notion de « pouvoir » et du cléricalisme.

J’ai comme l’impression que nous vivons entre Eglise et Etat des armistices sans traités de paix. La question reste ouverte. Tant mieux, si une BD vient nous le rappeler dans un langage un peu crû, évoquant un passé qui ne l’est pas moins.