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Plaidoyer pour la communauté

  • Fr. Guy

Dialogue avec notre évêque

Une interview récente de Mgr Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, parue d’abord sur la NZZ zurichoise, puis traduite et publiée par cath.ch a ébranlé le landernau de l’Eglise catholique en Romandie. Au vue de la désertion des messes paroissiales de son diocèse, phénomène encore accru par les directives sanitaires imposées aux Eglises, l’évêque propose une réduction drastique du nombre des lieux de culte encore ouverts et une remise en question de l’apport de prêtres expatriés. L’affaire fit grand bruit et obligea l’évêque à revoir sa copie. Non pour en modifier le fond, mais la forme.

Un religieux « exempt » est mal placé pour faire des remontrances à un évêque, fut-il son frère dans l’Ordre de saint Dominique. D’autant plus qu’il se sent en accord avec l’objectif qui le motive, même s’il se distance des moyens proposés pour l’atteindre.

La question soulevée par notre évêque est primordiale. Elle me tient en haleine aussi depuis mon retour en Suisse en 1989, après avoir passé 19 ans de vie missionnaire en Afrique. Je n'appartiens pas à la même génération que Charles Morerod, mais nous sommes nés et avons vécu nos premières années dans le même canton. Un espace de temps suffisant nous sépare pour mesurer l'écart entre nos expériences de jeunesse.

En 1962, année de mon ordination sacerdotale, la messe dominicale de ma paroisse fribourgeoise faisait encore partie du paysage local. Elle était célébrée par des prêtres de « chez nous ». Trente ans plus tard, les jeunes et les enfants avaient disparu. Seuls quelques bancs étaient occupés par deux ou trois poignées d’irréductibles, la plupart chauves ou grisonnants. La nef ne frémissait que la nuit de Noël, le jour de la Toussaint ou lors des enterrements.

Cette érosion fut aussi celui du clergé local, brusquement réduit en nombre et désormais impuissant à soutenir le rythme séculaire des célébrations. Des messes de plus en plus mornes et, pour tout dire, sources d’ennui, sauf les quelques dimanches où une chorale – encore vaillante – tentait du haut de la tribune de « rehausser ? » la liturgie.

Plutôt que chercher la cause de ce tsunami, « on » s’empressa de colmater les brèches, estimant que cette pénurie n’était que passagère et superficielle et qu’on pouvait facilement y porter remède. Certains ne furent hélas qu’emplâtres sur jambes de bois, tandis que d’autres étaient porteurs de guérison. Commençons par jeter un regard sur ces derniers, nettement plus encourageants.

La pénurie de prêtres favorisa l’avènement des femmes dans les services d’Eglise. Jusque là, seules les religieuses y prenaient une part bien déterminée. Elles avaient à l’église leurs bancs réservés (entre les filles et les femmes mariées), assuraient dans le village des prestations scolaires, mais n’imaginaient pas un seul instant d’empiéter sur l’espace « sacré » du curé omniprésent et omnipotent. La lente et inexorable érosion des Sœurs, qui suivit celle des prêtres laissa le chœur de l’église disponible aux filles d’Eve de tout âge et de tout acabit. Même l’ambon et bien sûr les salles de catéchisme.

Aux filles servantes de messes vinrent s’ajouter les lectrices, les animatrices, les auxiliaires de l’eucharistie, les sacristines et bien entendu les fleuristes. Faute de candidats masculins, les femmes investirent majoritairement les conseils paroissiaux et pastoraux. Ce sont encore elles qui font survivre des chorales de moins en moins « mixtes» et assurent, en ville du moins, la quasi totalité des effectifs des aumôneries qui relèvent de la diaconie de l’Eglise. La frontière canonique qui les prive des dernières charges encore exclusivement assumées par des hommes ne fait que se rétrécir. Elle finira bien par s’effacer, ne serait-ce que pour sauvegarder ce qui reste d’essentiel à l’Eglise, à savoir l’eucharistie. Une conviction de plus en plus contestée par certains opposants au sacerdoce féminin qui préféreraient une Eglise sans eucharistie plutôt que de voir des femmes la présider.

Pour ne pas en arriver là, « on » préféra ouvrir les cures désertées par les prêtres diocésains à un clergé expatrié appelé à la rescousse. Ces nouveaux venus étaient simplement priés de remplir une case devenue vacante sur l’échiquier épiscopal. Pilotes ou capitaines, ces prêtres venus d’ailleurs allaient s’apercevoir assez tôt que l’embarcation qui leur était confiée prenait l’eau de toute part. Originaires pour la plupart d’une région ignorant pour l’instant – ce genre de problèmes, ces prêtres n’étaient pas adaptés à gérer pareille crise. Ils n’étaient appelés que pour assurer un service de suppléance dans une Eglise qu’ils imaginaient fonctionner selon les critères de celle qu’ils avaient quittée.

Le remède se révéla donc inadéquat à la gravité de l’état du malade. Mais « on » ne changea pas de traitement, si ce n’est que l’exception et le provisoire devinrent l’ordinaire et la règle. Notre Eglise n’en fut donc pas guérie pour autant. Les assemblées paroissiales continuèrent à s’amenuiser, les bénévoles à vieillir et, phénomène nouveau, les femmes commencèrent à se retirer, emboîtant le pas à la gente masculine quasi invisible depuis longtemps.

On aurait pu échapper à ce triste résultat, si le diagnostic avait impliqué la question du pourquoi de la maladie. Trop pressé d’y porter remède, « on » n’a pas eu le courage d’analyser lucidement la situation et d’en découvrir les causes. A ce sujet, je ne dirai pas que les catholiques de ma génération ni de celle qui l’a précédée portent les racines de ce mal. Beaucoup furent des croyants sincères et conséquents, même si d’autres ils l’avouent maintenant  furent contraints d’adhérer à des comportements religieux qui n’avaient aucun fondement dans leur vouloir profond et ne correspondaient pas à leurs réelles convictions. Au premier souffle d’un vent nouveau, ils se sont affranchis, choisissant leur propre voie et non plus l’autoroute où tout le monde s’engouffrait sous le regard inquisiteur de la police routière ecclésiastique. Les hommes furent les premiers à se « libérer » avant que les femmes ne le fassent aujourd’hui et bruyamment.

Ce recours à l’histoire des générations n’explique pas tout. La crise religieuse d’aujourd’hui n’est pas qu’un épiphénomène du séisme libertaire de mai 68. Plus profondément, il s’agit de l’abandon généralisé de la croyance en une Transcendance personnelle qui existerait hors de la sphère où s’agitent les humains. On veut bien accepter un dieu qui, sans vraiment s’incarner, se confond avec nos aspirations ou avec ce que nous appelons nos valeurs, souvent héritées d’un christianisme désuet, mais nous refusons de nous référer à une autorité supérieure représentée par une institution pour déterminer notre code éthique et définir nos convictions. Notre liberté individuelle codifiée par la mode et l’opinion, elles-mêmes tributaires de la dictature des medias, se veut désormais maîtresse et arbitre de tout. Bien sûr, Jésus demeure un personnage « sympathique », digne d’être imité à bien des égards, mais lui rendre un culte réglementé à l’intérieur du groupe de ses fans est faire preuve d’atavisme rétrograde. En un mot, l’athéisme n’est plus un problème puisque Dieu a cessé d’en être un. Nos difficultés demeurent sans doute, mais n’irons pas demander à des institutions périmées comme l’Eglise de nous aider à les résoudre.

Si ce diagnostic a quelque vérité, ce ne sont donc pas des demi-mesures qui vont nous guérir. Des regroupements communautaires plus vastes ne vont pas par magie régler le problème. Ils ne feront que le reporter à une plus large échelle. C’est d’une autre thérapie que nous avons besoin : un renouveau de nos communautés chrétiennes quelles qu’en soient leur dimension, leur histoire ou leur lieu.

La communauté est le fondement qui soutient la réalité ecclésiale. Elle réunit des frères et des sœurs qui célèbrent ensemble et surtout vivent la mémoire de Jésus, présent au milieu d’eux quand ils prient, mais aussi quand ils se pardonnent, s’entraident et témoignent au monde de son Evangile.

Bien sûr, au cours des temps ces frères et ces sœurs ont donné des structures à leurs communautés. Elles sont mêmes devenues des « institutions » considérées comme intangibles, alors qu’elles auraient dû évoluer avec le temps. Leur nécrose a entraîné celle des communautés qu’elles auraient dû servir. Le temps est donc venu de revitaliser la communauté et se soucier d’abord de ce qui la fait vivre et secondement du cadre où elle vit.

Je ne suis pas le premier à faire ce plaidoyer. J’ai l’impression que notre pape François avance à pas feutrés sur cette voie, déjà ouverte par quelques uns de ses frères évêques. L’heure n’est pas venue de fermer les églises même pas celles des campagnes – mais de faire revivre l’Eglise, littéralement la communauté de ceux et celles que le Christ appelle à sa suite. Je le répète encore : peu importe le cadre ou l’effectif de l’assemblée. Dix fidèles dans une église de banlieue ou une célébration majestueuse des JMJ. L’essentiel est de vivre l’Evangile en communauté – petite ou grande  dans un monde qui ne le connaît pas ou qui a pris le parti de l’ignorer. 

Et j’attends que nos pasteurs, comme leurs prédécesseurs apostoliques, nous y conduisent. 

Un portrait officiel de Mgr Charles Morerod (image : Wikipédia/Abaddon1337 — Travail personnel : travail dérivé de "File:Photo officielle CM.jpg" par DeBonneVolonté. Ce fichier est sous licence Creative Commons Attribution 4.0 International license. L'image a été recadrée.)

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