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Prêtres « réfractaires »

  • Fr. Guy

Même à Fribourg ! ! !

On appelle « réfractaire » dans l’histoire religieuse les prêtres français qui refusèrent de prêter serment à la Constitution civile du clergé votée par l’Assemblée Nationale le 12 juillet 1790 et qui pour ce fait furent durement persécutés par les régimes révolutionnaires qui suivirent. Il y eut tout de même des « prêtres jureurs, non seulement pour sauver leur vie, mais parce qu’ils trouvaient dans certaines déclarations de l’Assemblée de 1789 des idéaux qui étaient loin de contredire leurs convictions chrétiennes, qui, au contraire, les ravivaient après avoir été éclipsés ou étouffés sous l’Ancien Régime. Ainsi le célèbre Abbé Grégoire (1750-1831) fut «Défenseur des juifs, antiesclavagiste, partisan du suffrage universel masculin, il est de tous les combats humanistes visant à abattre les barrières entre les hommes de toutes les couleurs et entre les religions. ».Tel est du moins l’hommage que lui rend en page de couverture de son monumental ouvrage Françoise Hildesheimer, historienne renommée, auteure d’une biographie de Grégoire qu’elle vient de faire paraître : « L’Abbé Grégoire. Une « tête de fer » en révolution », aux Editions Nouveau Monde 2022, 411pages. ».

Exclu de son mandat de député par le régime de la Restauration, l’Abbé Grégoire connut une retraite difficile et même pénible. Au moment de sa mort, survenue à quatre-vingts ans. L’archevêque de Paris lui refusa les « derniers sacrements », de même qu’une sépulture chrétienne. Il fallut trouver un prêtre, réfractaire d’un nouveau style, pour outrepasser les interdictions épiscopales et pour conduire en cortège la dépouille de Grégoire au cimetière du Père-Lachaise. L’enterrement avait été précédé d’une messe « Requiem » dûment et publiquement célébrée. Depuis 1981, deux cents ans après la Révolution, les restes de l’Abbé Grégoire reposent en paix au Panthéon de Paris.

On aurait tort de penser que cette histoire n’est que franco-française. Le courant des « Lumières » influença des secteurs importants de l’Eglise du 18ème siècle. Il n’épargna pas la Suisse de cette époque. Même Fribourg, considéré alors comme une citadelle du catholicisme ultramontain, fut assiégée par nombre de clercs et de religieux ayant étudié la philosophie et la théologie dans des instituts germanophones, en Allemagne bien sûr, mais aussi à Milan et à Rome. Ils rapportèrent dans leur pays d’origine des idées nouvelles et réformatrices influencées par « Les Lumières ». Il est vrai que la suppression de la Compagnie de Jésus en 1773 laissait le champ libre et favorisait ce courant ainsi que les échanges qu’il produisit à l’échelle européenne.

Un livre récent vient de s’en faire écho : Dominique Savoy : « Les lumières catholiques à Fribourg. Trajectoires et actions réformatrices des prêtres éclairés Charles-Aloys Fontaine et Grégoire Girard ».Cetouvrage a paru cette année 2022 aux Editions Alphil-Presses universitaires suisses et comprend 486 pages. L’auteur est un historien local intéressé par les réactions du clergé fribourgeois aux « Lumières » et aux révolutions. En particulier, à la correspondance de deux ecclésiastiques qui font l’objet de sa recherche.

L’un des deux prêtres, le frère franciscain cordelier Grégoire Girard.

1765-1850) est largement connu à Fribourg. Grâce à une souscription publique réalisée sous le régime politique radical qui suivit la défaite du clan conservateur lors de la guerre du Sonderbund (1847), une statue lui fut érigée à mi-chemin de son couvent et de l’Hôtel de Ville gouvernemental, avec cette dédicace ; « Au moine patriote », Il est vrai que Girard fut très mêlé aux affaires de l’éphémère « République helvétique » installée après l’invasion des cantons confédérés par les troupes révolutionnaires françaises. Girard fut même le premier curé de la ville de Berne depuis la réformation du 16ème siècle et officia dans la collégiale protestante ouverte aux catholiques en vertu de la liberté de culte prônée par « Les Lumières ».

Mais c’est surtout sur le plan éducatif que le Père Girard fit valoir ses réelles compétences en ouvrant des écoles dans sa ville de Fribourg et en plaidant la cause de l’enseignement mutuel où les grands élèves devenaient moniteurs des plus jeunes. Ce Blog a déjà fait mention de la dernière biographie du « moine patriote » une œuvre de Georges Andreypubliée chez Cabédita en 2015.

Le second prêtre qui fait l’objet du livre de Damien Savoy, le chanoine Charles-Aloys Fontaine (1754 – 1834) est en fait le cousin du précédent. Il fut d’abord membre de la Compagnie de Jésus jusqu’à sa suppression et entreprit de bonnes études dans les instituts et universités allemands. Extraordinairement érudit et cultivé, expert aussi bien en sciences naturelles qu’ecclésiastiques, fut professeur au Collège St-Michel que les Jésuites avaient dû quitter. On parle aussi de lui comme un des pionniers du futur Musée d’Art et d’Histoire de Fribourg. En annexe de son livre, Damien Savoy a établi la liste de tous les ouvrages de Fontaine acquis sous l’Ancien Régime. Une mine de connaissances.

Si ce chanoine de la Collégiale St-Nicolas de Fribourg n’accéda pas à la prévôté de ce chapitre et de surtout pas au siège épiscopal, est le fait que Fontaine dut subir la méfiance du clergé postrévolutionnaire qui installait à Fribourg, au moins pour un siècle, un catholicisme conservateur et dominateur. C’était aussi l’époque où l’on traitait de « kantien » le Père Girard. Seules les fenêtres entrouvertes par le concile de Jean XXIII laissèrent entrer un peu d’air frais dans la citadelle.

© Éditions Nouveau Monde

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