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Prophète pour notre temps

  • Fr. Guy

La geste d’Elie revisitée

Gabriel Ringlet : Va où ton cœur te mène, Albin Michel, 2021. 153 p.

Ecrivain, poète, théologien, prêtre, aujourd’hui octogénaire, ce Belge, professeur émérite de l’université de Louvain-la-Neuve, n’a pas fini de nous étonner.

Nous le savions engagé dans le combat mené pour libérer l’Eglise de sa cangue cléricale et masculine, mais aussi, plus gravement, en faveur de « L'accompagnement spirituel jusqu’à l’euthanasie », titre d’un de ses livres paru en 2015.

Nous avions aimé son « Ceci est ton corps » (2008) ou « Le Journal d’un dénuement ». L’auteur décrit avec tendresse le chemin douloureux parcouru par une femme aimée jusqu’à la porte de sortie par où passent tous les humains.

Mais encore son « Eloge de la célébration » (2018) où cet amoureux de liturgie célèbre les jours saints et l’ordinaire du quotidien, inspiré par des poètes et des témoins qui ont croisé son chemin. On y rencontre, par exemple, au jour du samedi-saint, le cher Albert Longchamp qui n’est pas un inconnu en Romandie.

Son dernier essai : « Va où ton cœur te mène » poursuit une recherche devenue classique à notre époque : comment se manifeste ou ne se manifeste pas le « divin » dans le cœur et l’histoire des humains. Une recherche déjà entreprise par Ringlet dans un recueil de textes poétiques et mystiques, intitulé : « Effacement de Dieu. La voie des moines poètes », paru en 2013.

Ce thème est donc repris dans sa dernière œuvre, mais sous un angle biblique.

Dans une langue claire et accessible, Ringlet revisite à nouveaux frais le geste du prophète Élie narrée dans le Livre des Rois et qui résonne encore dans le Nouveau Testament et la tradition juive postérieure.

D’abord au service d’un Dieu qu’il imagine dominant, triomphant, jaloux, vengeur et même cruel, la persécution, le dénuement physique, mental et moral – en fait la dépression – amène le prophète Elie à percevoir autrement le divin.

Loin de l’orage, du feu ou des tremblements de terre, mais à travers l’effleurement, le souffle ténu, la caresse d’une brise légère qui adoucit, réanime et invite à reprendre la marche. Une double conversion : celle de l’image de Dieu dans le cœur de l’homme et celle de l’homme lui-même qui se laisse transformer par elle.

De fait, Gabriel Ringlet respecte le déroulement du texte biblique, mais la recomposition qu’il en fait n’appartient qu’à lui. On y retrouve sa pate poétique, son humour, ses références préférées, et son expérience de vie. Une relecture appropriée du texte biblique, mais soutenue par une fine connaissance de son support hébraïque.

Le livre se termine par un épilogue d’une trentaine de pages. C’est beaucoup pour un livre qui n’en compte que cent cinquante. En fait, un fascicule inspiré à la fois par Qohéleth d’où l’auteur a puisé le titre de son livre et par le récit de Luc narrant la rencontre de Siméon avec l’enfant présenté au Temple.

J’aimerais appeler cet épilogue « dialogue à une voix entre le vieil homme et l’enfant ». Comme Siméon l’a fait pour Jésus, Gabriel tient blotti contre sa poitrine un de ses petits filleuls et ne cesse de s’exclamer à son sujet. Qohéleth vient au secours de son inspiration. Le vieux sage biblique encourage l’enfant à « aller là où son cœur le mène », alors que son vieux parrain ferait bien de relire les dernières lignes de son livre qui l’invitent à se préparer à l’heure qui s’approche à grands pas où son « souffle » retournera à Dieu et « la poussière à la poussière » (Qohélet 12,7).

Quelle relation entretient cet épilogue avec Elie, hormis le fait que l’enfant blotti dans les bras de Gabriel porte le nom du prophète ? Avant tout la fragilité du « souffle », pareil à celui qui caressa les joues du prophète sur le Mont Horeb. Un souffle ténu qui tient en promesse l’avenir et la destinée de ce nourrisson, tandis que son parrain s’apprête à quitter la scène. Un souffle enfin qui est aussi celui de Dieu, à peine perceptible, au plus profond de l’être du jeune et du vieux.

 

Deux extraits de ce livre :

Dieu se convertit

« Quand l’interdit étouffe, quand l’actualité torture, quand l’agonie affole, quand le deuil désespère… Dieu s’amenuise. Il sait bien qu’un mot, parfois, un mot trop haut, un mot trop fort, trop enflammé, peut paralyser au lieu de redresser. Il sait bien qu’un mot d’ouragan, un mot de tremblement, un mot de feu peut écraser au lieu de sauver. Et Dieu ne veut plus de ce Dieu-là. Après une retraite de quarante jours et quarante nuits, Dieu se convertit à l’Horeb. Pauvre Elie ! Il ne s’attendait pas à si peu. Si peu de gloire surtout. Si on lui avait dit un jour qu’il était bon de croire avec si peu de Dieu ! Plus tard, beaucoup plus tard, un enfant va naître, qui fera plusieurs fois allusion à Elie. Il ne s’est pas caché dans une grotte, il y est né. » (Va où ton cœur te mène, p.86)

 

Le manteau d’Elie

« Ce beau geste du manteau d’Elie, je crois qu’il nous appartient. Ce souffle prophétique n’est pas réservé à quelques uns. A défaut d’en recevoir une double portion, chacune, chacun peut en avoir un petit bout en héritage et refaire cette jetée créatrice sur quelqu’un qui a faim, qui a soif, qui est nu, malade, étranger ou en prison… Tant d’hommes et de femmes voudraient que les eaux s’écartent avec l’espoir de rejoindre une rive plus hospitalière. Il ne s’agit pas de leur promettre l’impossible mais de jeter un manteau de compassion sur les eaux de leur désarroi, pour ouvrir en eux le chemin d’une possible traversée. Ou de réveiller une source qui s’était tue pendant le temps de leur grande sécheresse, pour qu’elle se remette à chanter. » (op.cit. p.108-109) 

Détail d'une fresque du prophète Élie provenant du monastère serbe de Gračanica dans le district de Pristina, au centre du Kosovo (image : Gmihail sur Wikipédia Serbe. Cette image est sous licence Attribution-ShareAlike 3.0 Serbia (CC BY-SA 3.0 RS))

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