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Quel Jésus ?

  • Fr. Guy

L’ouvrage « monumental » de Daniel Marguerat 

Je n’y échapperai pas.

Je me « dois » de recenser l’ouvrage « monumental » de Daniel Marguerat : Vie et destin de Jésus de Nazareth. Un livre de 404 pages, paru ce printemps 2019 aux Editions du Seuil à Paris.  

Mais par quel bout commencer ?

Ce livre m’aura accompagné tous ces derniers mois ; j’ai même rencontré son auteur qui le présentait lors d’une séance de dédicace. Qui fut donc ce Jésus de Nazareth ausculté sous la loupe d’un historien ? Tentative illusoire, semble-t-il, Tant de biographes s’y sont essayés faisant passer pour « historique » ce qui n’était que projection de leur imaginaire ou de leur désir. Bultmann, plus encore que Schweitzer, aurait signé la mort de toute recherche sur le Jésus d’avant la rédaction des évangiles. Entreprise impossible, et même inutile à ses yeux : l’important est le Jésus de la foi, non celui de l’histoire. Pourtant, certains de ses disciples, comme Günther Bornkamm, ont produit leur « Jésus ». Celui de Marguerat s’inscrit dans cette lignée. Comme Bornkamm, l’exégète réformé de Lausanne s’afirme « chrétien et croyant », mais aussi respectueux de ce qu’il appelle vérité historique, pour autant qu’on puisse dégager le Jésus de l’histoire des affirmations de la foi christologique de l’Eglise survenue après l’événement pascal. Marguerat a-t-il pu tenir son pari ? L’avenir de la recherche néotestamentaire le confirmera ou l’infirmera.

J’ai toutefois été impressionné par le cumul des sources et le sérieux de leur critique. Une recherche approfondie et universelle qui ne s’arrête pas aux écrits du premier ou du deuxième siècle, mais qui englobe toute l’histoire des « vies de Jésus », depuis les récits contenus dans le Nouveau Testament, suivis des Apocryphes, jusqu’aux interprétations juives et musulmanes modernes et contemporaines. Une somme d’érudition extraordinaire.  A cela s’ajoute un style, clair, rapide, pertinent, parfois tranchant et accessible aux non initiés.

Quant aux résultats, chaque lecteur appréciera. Pour ma part, ce sont les chapitres centraux de l’ouvrage consacrés au « guérisseur, au maître et au poète », mais aussi ce qui est dit sur le sens que Jésus donne à sa vie et à sa mort.  Des lignes, je l’avoue, qui ont renforcé la connaissance, l’admiration – et le culte – que je porte déjà à Jésus de Nazareth. Bien sûr, d’aucuns et d’aucunes sursauteront à l’énoncée de certaines hypothèse que l’on souhaiterait voir vérifiées davantage, comme le fait que Jésus fut un enfant naturel, fils de Marie mais de père inconnu, que le dernier repas ne fut qu’un souper d’adieu dépourvu de toute référence pascale, que les récits du tombeau vide (non pas ceux des « visions » du ressuscité dont furent gratifiés certains disciples) ne furent que des inventions apologétiques des premières générations chrétiennes pour affirmer la vérité de la résurrection face à ses détracteurs. Si Marguerat mesure en général la portée et les limites de ses affirmations, il lui arrive aussi d’être péremptoire. Un exemple suffira : d’un raide trait de plume, il traite de pieuse légende tel ou tel passage d’évangile, comme le songe et l’intervention de la femme de Pilate relatés dans le récit de la passion de Jésus selon Matthieu. On aurait attendu de sa part davantage de précautions et de scrupule scientifique.

Le cœur du problème n’est pourtant pas dans le détail des affirmations et des négations, mais tourne autour de cette question inévitable pour un chrétien croyant : quel lien entre le Jésus de Marguerat et celui des confessions de foi chrétiennes ? L’exégète vaudois reconnaît tout d’abord un lien de continuité nécessaire entre les Eglises des premier et deuxième siècle et le Jésus pré-pascal. L’existence de ces Eglises ne s’explique pas sans ce lien fondamental. Sans doute, l’expression de leur foi a pu être hypertrophiée par l’ajout de nouveaux titres attribués à Jésus de Nazareth (SeigneurFils de Dieu). De même, les conflits entre le judaïsme rabbinique éclos au tournant du premier siècle et l’Eglise chrétienne de cette époque ont-ils infléchi dans un sens anti-judaïque la rédaction des évangiles (en particulier, celui de Jean). Mais cela ne suffit pas à nier toute continuité entre le Jésus de l’histoire et celui de la foi. Daniel Marguerat en est bien conscient.

Demeurent toutefois la pratique et la discipline des Eglises chrétiennes qui ne veulent donner foi qu’au Christ des évangiles. Au cours du deuxième siècle, elles ont fait un choix « canonique » des écrits qui seuls, selon elles, contiennent le substrat de leur foi christologique. Au nom de quels critères et de quelle autorité ont-elles procédé à ce choix ? Peut-on le remettre en question ? Ces problèmes ne sont plus du ressort de l’historien exégète. Ils relèvent de la théologie, plus précisément de l’ecclésiologie. Une autre « science » qui ne porte pas l’auréole de l’histoire profane, mais qu’on aurait tort de mépriser.

 

© Editions du Seuil

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