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Rapport spécial : Annemasse (1951 – 1962)

  • Fr. Guy

Seconde partie

En 1962 les dominicains ont rétabli à Genève leur couvent supprimé au temps de la Réformation du 16ème siècle. Un séjour provisoire de dix ans (1951-1962) dans la ville française frontalière d’Annemasse a précédé et préparé cette seconde installation en terre genevoise.

Retour sur l’intermède dominicain d’Annemasse et sur les frères qui l’ont vécu.
 

Seconde partie

Visite au couvent d’Annemasse

   

Prologue

 

Par chance, nous possédons un témoignage relatant par le détail les faits et gestes de nos frères assignés au couvent d’Annemasse. Son auteur, qui se fait connaître sous l’appellation Le Pérégrin, partage les souvenirs de sa rencontre avec les frères de ce couvent dans une relation publiée en deux temps dans les numéros 4 et 5 de l‘année 1957 de Vie dominicaine. Ce périodique est publié au couvent St-Hyacinthe de Fribourg à l’intention des fraternités laïques dominicaines de Romandie.

Hélas, il ne m’a pas été possible d’identifier l’auteur de cette relation qui a tenu à garder l’anonymat. Un frère d’une autre communauté suisse, je présume.  Malgré ce point demeuré obscur, il m’a plu de reproduire ce texte tel qu’il a été rédigé, avec toutefois quelques corrections grammaticales et des sous-titres de ma propre plume.

J’ai pris cette initiative en pensant à mes frères du couvent de Genève et à l’ensemble de la famille dominicaine de Suisse. Il est bon de savoir de qui nous tenons et prendre conscience que nos aînés nous ont tracé la route à suivre.

— fr. Guy Musy op

 

De l'année 1957

Le Frère Pérégrin

Adresse

Frères et Sœurs du Troisième Ordre, vous ne faites qu'une seule famille avec tous les dominicains et dominicaines de la Province.  Il est donc légitime que vous soyez informés de l'activité des diverses communautés de l'Ordre de Saint-Dominique. C'est ce que nous essaierons de faire ici.

À votre intention, j'ai fait une visite d'information à Annemasse. J'ai commencé par ce couvent, parce que, n'étant pas situé dans un lieu de passage, il est peut-être moins connu de nos Tertiaires.

Retour aux origines

« Couvent d'Annemasse », disais-je. À vrai dire, ce n'est pas son titre officiel.

Il fut érigé canoniquement, d'abord en 1951 comme « maisonformée », puis au cours de l'été 1953, comme « couvent », avec le nom de « Couvent de Saint-Dominique et Saint-Pierre de Genève ».

C'est dire qu'on restaurait l'ancien couvent dominicain de Genève, celui qui, jadis sis dans le faubourg de Plainpalais sur l'emplacement approximatif du Grand Théâtre actuel, fut détruit au début du XVIe siècle par les Calvinistes en lutte avec les Savoyards.

Ainsi, après une interruption de plus de quatre siècles, la tradition dominicaine est renouée désormais. Signe expressif, l'ancien sceau reconstitué estampille les actes officiels du nouveau couvent.

Accès facile vers Genève

Annemasse est comme une banlieue de Genève et la frontière qui l'en sépare n'est pas un obstacle aux relations de l'une à l'autre.

Un autorail vous y conduit en 8 minutes depuis la gare des Eaux-Vives. Le tram circule plus fréquemment, mais se hâte moins.

Quant aux Pères, ils usent plus volontiers de la vespa ou du vélo-moteur pour franchir les 7 kms du trajet.

Un nid de verdure

En arrivant dans ce paysage de banlieue, on se trouve agréablement surpris de découvrir, rue de Malbrande, un nid de verdure, un vrai lieu de paix.

Une grosse maison savoyarde, coiffée d'un haut toit d'ardoise à quatre pans, a été aménagée pour que les sept Pères qui y résident trouvent assez de place. Une ancienne remise a été transformée en chapelle.

Ces deux bâtiments sont plantés dans un jardin de quelque 4000 m², à la jeune végétation en pleine croissance, dominé de la pointe de quelques vieux cèdres.

Pour bien apprécier le site, il faudrait pouvoir comparer l'état actuel à celui des tout débuts : le jardin était alors en friches, les locaux délabrés, et la pièce où fut célébrée la première messe le 14 septembre 1951 avait l'aspect d'une pauvre étable !

Prédications tous azimuts

Ce lieu paraît assez écarté ; pourtant les Pères n'en exercent pas moins un apostolat dont le champ n'a fait que s'étendre, surtout dans le canton de Genève ; mais aussi en Savoie, dans les autres régions de France et, ajoutons, jusqu'aux extrémités du monde !

L'an dernier, le P. Cattin n'a-t-il pas prêché le Carême à la Guadeloupe ?

Et récemment, le même P. Cattin s'envolait le mercredi de Pâques au matin, et après escale à Athènes et Djibouti, atterrissait le lendemain à midi à Tananarive.

De là, une lettre arrivait le lundi 29 avril à Annemasse : le Père avait joui de deux journées d'arrêt qu'il avait mis à profit pour visiter la capitale de Madagascar.

Actuellement, il a commencé, avec un groupe important de religieux, dominicains et autres, les prédications d'une grande Mission qui doit s'étendre, jusqu'en octobre, à toute l'île de la Réunion.

Les deux Savoie

Dans les deux Savoie, certains centres font plus particulièrement appel au ministère des Pères.

Il faut signaler, entre autres, la ville de Thonon : tantôt les dominicains donnent les prédications de Carême à la paroisse, tantôt des retraites au Petit Séminaire ; l'un d'eux même fit durant une année le cours de philosophie au Collège Saint-Joseph, tenu par les Frères des Écoles chrétiennes.

Enfin, il n'est pas rare que les conférences qu'entendent les Visitandines soient données par nos Pères.

Le Père Python à l’œuvre !

À quelque 70 km, au sud d'Annemasse, au-delà de Mégève, existe depuis plusieurs années un collège de montagne, « le Val d'Arly », dans le petit village de Saint-Nicolas-la-Chapelle (altitude : 1000 m.).

Son directeur, M. Jacques Didier, avec une équipe de jeunes professeurs, réalise là une admirable œuvre pédagogique.

Dans une atmosphère familiale et le cadre le plus moderne, 80 enfants de 10 à 15 ans poursuivent leurs études. Beaucoup d'entre eux y ont retrouvé un équilibre qu'on n'était pas parvenu jusqu'ici à leur rendre. Or, depuis l'origine, le directeur a toujours voulu que la direction spirituelle de la maison fût assumée par un dominicain.

Actuellement, le P. Python partage cette tâche avec quelques autres Pères. Chaque mois, durant un séjour de deux ou trois jours, le Père reprend contact avec élèves et professeurs dans une atmosphère d'extrême franchise.

La retraite annuelle est également prêchée par l'un de nos Pères. Les deux années précédentes, le Collège s'était transporté en car au couvent de Saint-Alban, où, durant trois jours, les garçons ont pu jouir d'une expérience immédiate de la vie dominicaine.

Il faudrait signaler encore d'autres centres où s'est exercé souvent l'apostolat dominicain sous forme de prédications ou de conférences : Chamonix (où récemment prêchait le P. Python), Sallanches, La Roche-sur-Foron, Saint Jeoire-en-Faucigny où une communauté de religieuses dominicaines de la Congrégation d'Auch tiennent une grande maison, home de repos en hiver et centre intense de colonies de vacances en été.

Apostolat à Annemasse

N'oublions pas, enfin, Annemasse même.

Deux maisons religieuses s'y sont fondées récemment : d'abord une maison d'études où une douzaine de Petits Frères de Jésus reçoivent leur première formation philosophique, puis une autre faisant partie de la « Mission ouvrière Saint-Pierre et Saint-Paul », un Institut séculier fondé par P. Loew à Port-de-Bouc en vue de l'évangélisation des milieux ouvriers.

Le P. Cottier, tout  en poursuivant ses travaux en vue d'un doctorat à l'Université de Genève, se dépense inlassablement pour la formation de ces jeunes Frères ou Séminaristes. Il partage le reste de son temps entre des cours donnés à Saint-Maximin aux mêmes Petits Frères et des sessions de formation  pour les Petites Sœursde Jésus de Genève, ainsi que cela eut lieu en janvier dernier.

Le Père Allaz  écoute « l’appel des âmes » !

Enfin, il faut signaler l'activité que le P. Allaz exerce principalement dans le midi de la France. Durant les mois d'hiver, c'était la prédication de la Croisade du Rosaire dans le diocèse de Bourges.

On sait qu'il s'agit là de vastes prédications à l'échelle d'un ou deux départements entiers !

Entre-temps, il est vrai, il prêchait une pré-mission à Aigle avec le P. Cattin.

Mais ensuite c'était le Carême au diocèse d'Albi : quinze jours à Gaillac, trois semaines à Mazamet.

En cette dernière ville particulièrement, les besoins spirituels sont grands. Sur une population de 30 000 habitants, elle compte 15 000 catholiques (le reste étant protestant) la plupart artisans, travaillant en ce centre mondial du délainage.

On imagine aisément que le missionnaire ne chôme pas en cette cité, quand on sait que la pratique religieuse du dimanche atteint la proportion de 65 %.

La ville de Fribourg est loin de ce chiffre !

On comprend que les Frères Prêcheurs orientent leur ministère vers les contrées où retentit le plus intensément l'appel des âmes.

Mais alors Genève !

Cependant, si l'apostolat du couvent d'Annemasse comporte cette extension « catholique », il reste d'abord centré sur le ministère de Genève. On ne peut nier que nos Pères y assument des tâches dans la ligne de la tradition dominicaine.

Chaque année d'abord les prédications de Carême amènent les Pères dans un grand nombre de paroisses.

Le couvent d'Annemasse doit même demander l'aide soit de Fribourg, soit des Provinces françaises.

Cette année, sur 45 paroisses du canton, un tiers ont reçu des prédicateurs dominicains, soit Saint-Antoine, Sainte-Claire, Saint-François, Sainte-Jeanne, Saint-Nicolas, Sainte-Thérèse, Carouge, Grand-Saconnex, Thônex, Présinge, Vernier, Meinier, Compesières, Collonges-Bellerive.

À cela, il faut ajouter les prédications qu'on pourrait dire extraordinaires. Notons, entre autres, lors d’un retour de Mission celles du P. Turini et du P. Cattin, à Collonge en Valais, les prédications du P. Python à Collex-Bossy. 

De lui encore, quinze jours de prédication à Troinex en l'honneur de Notre-Dame de Fatima et, dans la même paroisse, une retraite du P. Turini.

Catéchèse des adultes

Une autre réalisation du couvent tout entier : les conférences du Catéchisme pour  adultes données chaque lundi au cours de l'automne  et de l'hiver, à 18h30, dans la chapelle Saint-Victor de l'église Saint-Joseph de Genève.

Les sujets, pour la première année, étaient relatifs au Christ ; l'an dernier, ils portaient sur des questions de morale chrétienne et cette année sur les fins dernières. Les conférences sont réparties entre tous les religieux du couvent.

Elles paraissent répondre à un vrai besoin des âmes. Car l'auditoire n'a cessé de croître. L'hiver dernier, la chapelle était devenue trop petite, on compta une moyenne de 120 à 150 personnes appartenant à toutes les classes de la société et, pour une bonne moitié, des hommes et jeunes gens.

Ces cours furent l'occasion d'un retour à une vie chrétienne fervente et à des conversion du protestantisme au catholicisme.

Le Père Kaelin à l’aumônerie universitaire

L'automne dernier, Monseigneur l'Evêque confia aussi aux dominicains l'aumônerie catholique des étudiants et le P. Kaelin fut nommé officiellement à ce poste.

L'Université de Genève compte 500 à 600 étudiants catholiques, en majorité étrangers.

Ces étudiants savent qu'ils  trouvent toujours accueil au Centre universitaire catholique de la rue de Candolle.

L'aumônier y assume surtout une tâche de présence ; il s'agit de rendre toute espèce de services. Sans doute, les étudiants catholiques ne fréquentent-ils pas tous le Centre puisque tous ne se font pas connaître comme catholiques. Les services qu'on peut leur rendre sont de tous ordres : depuis les plus matériels – dépanner pour le logement – jusqu'à ceux qui relèvent du domaine spirituel.

Par exemple, conférences sur les sujets les plus divers, mais provoquant des mises au point importantes touchant tous les domaines ayant une incidence religieuse ou morale.

Récemment, par exemple, Mlle Jeanne Hersch est venue parler de la Pologne. Mentionnons aussi des conférenciers sur l'Eglise primitive, sur l'Inde, sur la jeunesse de notre temps, etc.

Ces réunions regroupent 50 à 60 étudiants. Le dimanche matin une messe rassemble régulièrement un groupe de 20 à 25 personnes de même que les messes du soir en semaine.

Enfin, un noyau de quinze  « responsables » désireux de prendre en charge la vie de la foi à l'Université se retrouvent pour des entretiens plus approfondis.

Le Centre est reconnu officiellement. Il bénéficie donc d'un cadre d'affichage dans les locaux de l'Université. Aux réceptions officielles, l'aumônier catholique est invité comme ses « collègues » pasteurs protestants. Bien des contacts sont ainsi possibles avec le corps professoral, non seulement avec ses membres catholiques.

Dans le monde étudiant, il faut se préoccuper aussi des milieux non catholiques. Et cela revêt une grande importance, si l’on songe que 400 musulmans fréquentent l'Université.

Présence dans le monde international

Mais ce n'est pas tout, car Genève est encore un centre international. Dans cette zone, nos Pères ont aussi leurs activités. Sur le plan de la formation spirituelle, il faut mentionner une réunion mensuelle des membres des diverses organisations internationales dirigée par l'un des Pères.

La soirée commence par la participation aux Complies dans notre chapelle d'Annemasse où affluent de Genève une quarantaine de participants. Puis, a lieu au Convent un entretien de formation spirituelle, suivi d'échanges de vues. On doit dire qu'il règne, au cours de ces soirées une atmosphère de vie chrétienne profonde.

Quant aux contacts immédiats avec les organismes internationaux, c'est la tâche propre du P. de Riedmatten

Il existe en effet à Genève un « Centre d'Information des Organisations internationales catholiques ». Ce centre, universellement reconnu, a été fondé par Mlle de Romer, tertiaire dominicaine, décédée en septembre dernier. Elle assumait la fonction de Secrétaire générale, désignée à ce poste par la Conférence des Organisations internationales catholiques qui regroupe plus de 35 membres.

La Secrétaire d’État du Vatican nomme auprès de ce Centre un conseiller ecclésiastique. Actuellement, c’est le Père de Riedmatten qui en a la charge.

Ajoutons que le même Père suit régulièrement, en qualité d'observateur du Saint-Siège, les sessions de l'OMS (Organisation mondiale de la santé) et fait partie de diverses délégations du Saint-Siège.

Il ne faut pas sous-estimer le rôle de ce Centre catholique. Il permet aux catholiques d'avoir un contact avec les divers organismes internationaux et avec les sessions de l’ONU à Genève. En particulier, celles du Conseil Economique et Social dont le siège est dans cette ville. Ainsi il est possible d'apporter la lumière chrétienne au sein de ces Conseils.

Il n'est pas inouï que des décisions importantes et heureuses pour le monde aient été prises sous l'influence catholique.

Et d’autres réalités « ineffables »…

Voilà donc quelques aperçus sur le Couvent de Saint-Dominique et Saint-Pierre de Genève.

Je n'ai cependant pas tout dit. J'ai parlé de sept religieux. Il faudrait encore nommer ceux qui tout en étant rattachés juridiquement à Annemasse résident en d'autres lieux : le R. P. Chatelain, maître réputé dans le domaine de la pédagogie, originaire de Genève mais appartenant à la Province de France, remplit actuellement les fonctions d'aumônier au Foyer Saint-Vincent de Carouge ouvert à de jeunes enfants.

Sans oublier les deux Pères aumôniers des étudiants de Lausanne.

Il faudrait surtout parler de la « vie intérieure » – si l'on peut dire! – du couvent d'Annemasse, vie de contemplation et de prière liturgique, vie d'étude aussi, sous la sage conduite du Père Prieur, le T. R. P. Turini.

Mais il est des réalités ineffables que la plume risquerait de trahir !

Et surtout il faut savoir prendre congé à temps de ses lecteurs. C'est ce que je fais sur l'heure.

— Le Frère Pérégrin

(extrait de : Vie dominicaine, 1957, n°4 p.39, n°5 p.47)

Carte en relief du département de la Haute-Savoie (Wikipédia)

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