Blog

Retable des Dominicaines

  • Fr. Guy

Hans Geiler et le mystère de Noël

Voici quasi cinq cents ans, en 1527 précisément, Sœur Mauricia de Blonay, moniale dominicaine d’Estavayer, mettait à profit son héritage familial pour enrichir le chœur de l’église de son monastère d’un retable ou triptyque réalisé par l’atelier Hans Geiler de Fribourg. Selon la coutume du temps, peu concevable de nos jours, les donateurs figuraient sur le tableau : la moniale agenouillée et l’évêque Claude d’Estavayer qui dut lui aussi dénouer les cordons de sa bourse.

Ce qui m’étonne est le fait que cette œuvre fut réalisée en pleine crise religieuse qui va diviser et même ensanglanter les cantons alliés qui formaient la Suisse de ce temps. Quatre ans plus tôt, les zurichois entraînés par Zwingli avait abattu les statues et les autels – et donc les retables ! – et un an plus tard Berne prenait le relais des iconoclastes des bords de la Limmat. Pour ne pas parler de Genève qui en 1535 ne réserva pas un meilleur sort au fameux retable de Konrad Witz qui trônait en majesté au-dessus du maître-autel de la cathédrale St-Pierre. Par chance ou par bonheur, deux volets de « La pêche miraculeuse » furent sauvés du désastre et sont exposés aujourd’hui au Musée d’Art et d’Histoire de Genève. Tardive et partielle réhabilitation !

Nos chères moniales d’Estavayer en plaçant à ce moment-là dans leur église ce cadeau inestimable étaient-elles au courant de ce qui se passait à quelques lieues de chez elles ? Grâce d’aveuglement ou pied-de-nez à l’endroit de Guillaume Farel qui sévissait alors dans les parages ? Je pense plutôt qu’elles ne se posèrent aucune question, vivant l’aujourd’hui de Dieu à l’intérieur de leurs murs et grillages, sans trop se préoccuper des événements qui se produisaient à l’extérieur. Et advienne que pourra !

Sans plus d’état d’âme, les moniales abandonnèrent trois siècles plus tard à un antiquaire ce chef d’œuvre qui n’avait sans doute plus grâce à leurs yeux. Elles l’hébergèrent à nouveau au siècle dernier, mais comme un hôte de passage, dans l’église qu’il n’aurait jamais dû quitter.

Et le voilà une fois encore de retour à son bercail au terme d’une nouvelle pérégrination, cette fois-ci au Musée d’Art et d’Histoire de Fribourg qui lui fit subir un sérieux décapage et lui rendit l’éclat de sa prime jeunesse. On craignait que le retable devînt à Fribourg requérant d’asile, sans jamais ne plus revoir les rives de son lac bien aimé. Ce mois-ci, il a regagné son église, mais enfermé dans une cage de verre. « Pour être certain qu’il ne s’échappe plus », plaisante la Sœur prieure du monastère, toute à la joie d’avoir retrouvé l’enfant prodigue en excellente santé.

Mais cette cage fait réfléchir. Le retable craint que nous le contaminions. Faudra-t-il donc qu’on s’en approche masqué et qu’il se protège derrière une vitre, comme un fonctionnaire postal en période COVID-19 ? Je comprends que l’on prenne soin de sa structure de bois et de couleurs. Mais je serais navré si le message qu’il délivre éloignait encore davantage ses visiteurs. A savoir le mystère de Noël et les saints dominicains qui le contemplent et le prêchent.

Avant d’être une œuvre d’art à admirer, le retable est un « objet de culte et pas seulement de culture », fait remarquer un ami du monastère. Puisse-t-il servir à la mission de l’Ordre dominicain qui n’est pas celle d’un gardien de musée. Hans Geiler ne fut qu’un artiste, agent de transmission d‘une foi qui le dépassait. Ce n’est donc pas lui qui est au centre du retable. Que le pinceau du peintre n’étouffe pas le mystère qu’il désigne !

(photo : fr. Erik Ross)

Retour

Commentaires

×

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner un nom valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Veuillez renseigner une adresse email valide.

Veuillez renseigner ce champ.

Google Captcha Is Required!

Vous avez atteint la limite de commentaires !

* Ces champs sont requis.

Soyez le premier à commenter