Saint-Valentin

J’aurais plusieurs raisons de me taire. Tout d’abord, un prêtre religieux célibataire n’est pas un expert en amours et désamours. Il n’est pas le meilleur spécialiste et conseiller sur ce sujet.

Par ailleurs, une chape de plomb a pesé trop longtemps sur notre morale jetant la suspicion sur l’amour charnel, sur le désir qui y conduit et peut-être aussi sur tout geste de tendresse. Dans le but d’exalter le célibat consacré qui serait la meilleure voie de salut. J’ai même entendu un jour cet aveu – public – d’une moniale : « En entrant au monastère, je croyais que pour aimer Dieu, je ne devais aimer personne ». Quelle erreur ! » 

Reste que d’une façon ou d’une autre, nous sommes tous fils et filles de saint Valentin. Puisque nous sommes en vie. Je rends donc grâce à Dieu pour l’amour mutuel de mes parents. Recueillant leurs souvenirs dans des album jaunis, je suis ému à la vue de la photo de leur mariage et plus encore quand je découvre celles qui tentent d’immortaliser leurs premiers émois amoureux.

Je rends grâce pour ces amours humaines, parce qu’au sixième jour de sa création, Dieu vit que cela était bon et qu’il bénit ces deux êtres sortis de sa main, les envoya cultiver son jardin, leur donnant l’ordre de se reproduire. Se reproduire ? Oui.

 Car toute chair est comme l'herbe
Elle est comme la fleur des champs
Épis, fruits murs, bouquets et gerbes
Hélas, tout va se desséchant. 

Gilles

Au cimetière donc nos amours mortes ? Et si elles étaient éternelles, comme le chantait encore Gilles ? Images, symboles, esquisses de l’amour éternel de Dieu.

Je ne m’étonne donc pas que le Fils de Dieu qui est aussi le Fils de l’Homme ait pu prendre part à nos pauvres noces humaines et faire en sorte que la fête continue. Ce qu’il fit à Cana fut son premier « signe ». Car nos amours humaines ne devraient être que le reflet de son amour. Souvenez-vous de cette parole de Paul : « Maris, aimez vos femmes comme le Christ a aimé l’Eglise ».

De quel amour s’agit-il ? D’un amour fidèle, malgré les abandons, les reniements, les trahisons. Un amour qui pardonne à Pierre et traite Judas en « ami ». Un amour qui va jusqu’au bout de ses réserves. « Jésus ayant aimé les siens qui sont dans le monde les aima jusqu’au bout ».

Un amour aussi qui sait prendre ses aises dans la maison de ses amies de Béthanie, ou avec ses disciples sur une lande déserte au bord d’un lac de rêve. Un amour qui se réjouit de prendre des enfants dans ses bras pour les bénir. Une femme peintre de chez moi a peint un jour un Jésus couché dans une clairière et riant aux éclats…

Sans doute et non sans raison, vous pensez que je rêve en couleurs et idéalise une réalité que je ne connais pas. Au cours de ma vie bien avancée j’ai recueilli beaucoup de confidences et témoignages. Et si cela ne suffisait pas, je connais la faiblesse et les élans de mon propre cœur. Inutile de faire le détail des défigurations de l’amour. La chronique des faits divers devrait suffire. Ajoutez encore tout ce qui se chuchote ou se tait, le silence oppressant et douloureux. Je pense à celui dans lequel s’enferment tant de femmes humiliées…

Mais ceci ne devrait pas nous désespérer, nous emprisonner dans une solitude glaciale sans sourire. La rédemption est à nos portes. Elle vient guérir nos amours blessées et peut-être aussi ressusciter celles qui sont mortes. N’oublions pas cette parole : « Si notre cœur nous condamne, Dieu est plus grand que notre cœur ».

Voici donc ouvert notre chemin de Carême, chemin de pardon, de renouveau, mais aussi de joie et de résurrection.