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Sauver les livres et les hommes

  • Fr. Guy

La mission du frère Michaeel Najeeb

J’achève la lecture en cette période de réclusion dictée par une pandémie d’un ouvrage de notre frère irakien dominicain Michaeel Najeeb, archevêque de Mossoul depuis fin 2018[1].

Un livre qui m’a profondément « choqué », au sens littéral de ce terme, par les témoignages de souffrances et de cruautés dont furent l’objet ces toutes dernières années les chrétiens chaldéens et syriaques, sans parler des Yézidis, de la Plaine de Ninive.

Mais, je fus choqué plus encore – je ne dirai pas par la « bestialité », car les animaux sont incapables de telles horreurs – mais par la sous-humanité des combattants de Daech et de leurs émirs. Une compréhension erronée et partisane de leur religion les a hélas transformés en brutes sanguinaires et écervelées. Comparant les inconvénients de mon confinement actuel à cet amas de haines, la honte me couvre le visage. J’avais déjà éprouvé en 2018 le même malaise à la lecture du livre du moine syrien Jacques Mourad, intitulé : Un moine en otage.


[1] Père Michaeel Najeeb avec Romain Gubert : Sauver les livres et les hommes, Grasset, Paris 2017,177 p.

 

Mais revenons au livre de ce jour. Najeeb, son auteur, est natif de Mossoul, fils d’un agent des transports publics illettré, descendu un jour de sa montagne proche de la frontière syrienne. On parle araméen dans cette famille et on se réclame de l’Eglise chaldéenne qui est une des composantes de la mosaïque chrétienne présente dans le nord irakien depuis les premiers siècles de notre ère. Bien avant que l’islam domine cette région.

Najeeb insiste sur la profondeur de ses racines culturelles qui remontent très haut dans le temps. Il a grandi à l’ombre du Palais d’Assurbanipal (669 av. J-C  – 631 av. J-C) qui abritait à l’époque une fameuse bibliothèque, là où le jeune Michaeel avait plaisir à taper du ballon avec ses copains. Vestiges célèbres qui évoquent aussi le prophète Jonas dont le mausolée était encore debout et visité il y a quelques années.

Une mémoire entretenue non seulement par les taureaux ailés et les caractères cunéiformes gravés sur la pierre, mais par des milliers de manuscrits enfouis et oubliés dans les bibliothèques des églises et des monastères qui pullulaient autrefois dans la plaine de Ninive.

Najeeb est convaincu que cet héritage culturel fait partie intégrante de son humanité. Sauver les livres c’est aussi sauver les hommes. C’est le titre de son ouvrage.

Comment Najeeb s’est-il mis à cette double tâche ?

D’abord ingénieur dans le domaine pétrolier, il répond à un appel supérieur qui le conduit chez les Dominicains, présents à Mossoul depuis près de trois siècles. Au terme d’une formation théologique en France, il est ordonné prêtre en 1987 par Pierre Claverie, évêque d’Oran, et regagne le couvent de Mossoul. Ebloui par les manuscrits contenus dans sa riche bibliothèque, il en numérise un grand nombre et découvre dans les catacombes du couvent une véritable caverne d’Ali Baba : les archives personnelles de plusieurs frères décédés. Un trésor d’histoire inestimable.

L’occupation de Mossoul par les djihadistes l’exile à Qaraqosh, ville chrétienne de la Plaine de Ninive qui ne tardera pas à tomber elle aussi aux mains des nouveaux barbares. Juste avant la chute de cette ville, Najeeb parvient à sauver sa vie et ses manuscrits en fuyant in extremis à Erbil, au Kurdistan irakien où se sont réfugiés des milliers de rescapés chrétiens parvenus – mais à quel prix ! – à sauver leur vie.

La victoire des milices chiites et kurdes lui permettra deux ans plus tard de faire l’amer constat des dégâts de l’occupation djihadiste : destruction systématique des monuments antiques et des églises, incendie des bibliothèques, pillage des maisons privées, viols des cimetières et expulsion des chrétiens contraints de choisir la conversion à l’islam ou, dans le meilleur des cas, la valise.

Le livre de Michaeel Najeeb est le récit de cette épopée douloureuse et tragique. Il en parle à la première personne et s’adresse en style direct à un lectorat occidental, hexagonal de préférence. Romain Gubert, rédacteur en chef au Point, l’assisté dans sa réalisation.

Je retiens deux conclusions.

Daesh est parvenu a réaliser ce que ni les Ottomans, ni les Kurdes, ni Saddam Hussein avaient projeté. A savoir l’ « extermination » des chrétiens de la Plaine de Ninive et l’éradication de toute trace de leur présence deux fois millénaire. Le nouvel évêque de Mossoul où ne sont retournées qu’une infime minorité de familles chrétiennes n’est pas dupe. Il n’a pu retenir de l’émigration ses propres frères et sœurs qui désirent désormais vivre dans la dignité et ne plus jamais craindre la menace d’un pogrom déclenché par leurs voisins de rue ou de pallier.

La deuxième conclusion est sévère pour les Occidentaux. L’occupation de l’Irak par les Marines américaines ignorant tout de l’histoire religieuse et sociale de ce pays fut le fourrier de Daech. Quant aux chrétiens occidentaux, ils ne manifestent guère de compréhension, de solidarité et d’accueil à l’endroit de leurs frères d’Irak persécutés. A croire que ces derniers font partie d’une Eglise différente de la leur, même si l’araméen, la langue parlée par Jésus, est encore celle de leur liturgie.

Pour l’instant, Mgr Najeeb est bien seul dans sa ville dévastée, sa cathédrale détruite, l’église de son couvent transformée par les sbires djihadistes en salle de tortures, L’Ecclésiaste affirme qu’« il y a un temps pour jeter des pierres et un temps pour les amasser… un temps pour la guerre et un temps pour la paix ». Rude défi pour notre frère évêque d’entreprendre ce chantier de reconstruction et finalement de réconciliation.

Nos vœux et nos prières l’accompagnent.

© Éditions Grasset

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