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Sous le regard de Thérèse

  • Fr. Guy

Les carmélites de Compiègne et du Pâquier

Le loisir offert à un vieux « prêcheur » lui a permis de visionner récemment à deux reprises « Le Dialogue des carmélites ». Un film franco-italien, noir et blanc, de Philippe Agostini et de l’inénarrable Raymond Léopold Bruckberger, « prêcheur » lui aussi. Un frère qui a défrayé la chronique dominicaine des années d’après-guerre. Son film sorti sur les écrans en 1960 retrace l’histoire – recomposée ? des seize carmélites de Compiègne qui furent guillotinées le 17 juillet 1794 sur la Place du Trône à Paris, sous le régime de la Terreur.

Plus précisément, le film relate la fuite hors de son carmel de la jeune sœur Blanche de l’Agonie du Christ, effrayée à la perspective de mourir. Mais elle retrouve ses sœurs au pied de l’échafaud et gravit la dernière l’escalier du supplice en chantant le « Veni Creator ».

Les dialogues qui intègrent le film sont en partie redevables à Georges Bernanos. L’écrivain avait été sollicité par le Père Bruckberger de les composer sur la base du scénario qu’il lui avait soumis. Bernanos se mit au travail sans tarder et ses « Dialogues » furent achevés à la mi-mars 1948, au moment même où l’écrivain s’alitait pour ne plus se relever. Ils paraîtront en 1949 au Seuil sous le titre : « Dialogues des Carmélites », grâce à Albert Béguin qui après la mort de l’auteur en découvre le manuscrit.

En fait, le dominicain et l’écrivain s’inspiraient l’un et l’autre d’une nouvelle de l’écrivaine catholique allemande Gertrud von Le Fort (1876-1971) : « Die letzte am Schafott », parue en 1931. La version française « La dernière à l’échafaud » avait suivi en 1937 chez l’éditeur Desclée de Brouwer.

Gertrude von Le Fort avait eu connaissance de cette histoire grâce à une notice découverte dans un livre qui présentait les diverses congrégations religieuses du monde catholique. Les seize carmélites guillotinées n’étaient pas des inconnues, ni le fruit de quelque imagination romanesque. Elles avaient même été béatifiées par le pape Pie X en 1906. Un récit de leur martyre intitulé « La Relation » (réédité au Cerf en 1993) avait précédé. Ce document fut rédigé par un témoin de l’événement, Mère Marie de l’Incarnation, l’une des carmélites de Compiègne qui avait miraculeusement échappé à la guillotine.

Gertrud von Le Fort relut dans cette histoire ancienne celle de son pays alors menacé par une Terreur qui pouvait prendre la forme de celle qui avait sévi à Paris en 1794. Quelle résistance les chrétiens allemands allaient-ils opposer au nazisme alors en plein essor ? Et quel en serait le prix ?

Bernanos, lui, fit une lecture différente du même événement. Il transpose ce drame social et politique dans la sphère spirituelle de l’être humain exposé à la peur de la mort. Comme toujours chez cet écrivain, la grâce fait des saints et des saintes ceux et celles qui traversent cette épreuve. Dans ses « Dialogues », c’est sœur Blanche de l’Agonie du Christ que Bernanos choisit comme modèle. Je ne résiste pas à l’envie de retranscrire ses propos qui figurent en exergue des « Dialogues » : « En un sens, voyez-vous, la Peur est tout de même la Fille de Dieu, rachetée la nuit du Vendredi-Saint. Elle n’est pas belle à voir – non ! – tantôt raillée, tantôt maudite, renoncée par tous… Et cependant, ne vous y trompez pas : elle est au chevet de toute agonie, elle intercède pour l’homme. »

On comprendra sans peine que cette lecture n’était pas celle des réalisateurs du film, désireux de créer une œuvre cinématographique spectaculaire, susceptible d’émouvoir et d’attirer les foules. C’est pourquoi, les « Dialogues » de Bernanos ne furent guère utilisés dans le film. Ils connurent cependant leur propre destinée, sous forme d’œuvre littéraire, de théâtre et même d’opéra.

C’est sans doute cette touche bernanosienne dans le film qui m’a amené à le visionner à deux reprises. Le reste est trop déclamatoire, peuplé de clichés désuets et de décors poussiéreux.

Ma reconnaissance va tout de même au frère Bruckberger pour avoir ressuscité, à sa manière bien sûr, cette page émouvante de l’histoire de notre Eglise. Surtout, d’avoir sollicité Bernanos à participer à la réalisation de son film. La démarche du dominicain nous a valu un chef d’œuvre de l’écrivain.

Grâce à Dieu, la Terreur de Robespierre n’est pas parvenue à éteindre la flamme du Carmel. « Le sang des martyrs est une semence », selon un adage vérifié au deuxième siècle déjà par Tertullien. A vues humaines, les Carmélites du Pâquier en pays fribourgeois n’ont pas à craindre la guillotine. Leur extinction naturelle ne figure pas non plus au calendrier des probabilités immédiates.

Cette aventure carmélitaine dont les débuts sont plus que centenaires méritait non seulement d’être contée, mais relatée scientifiquement par un historien professionnel. Voilà qui est fait. Vient de paraître aux Editions « Faim de siècle » un livre de plus de 300 pages, richement illustré et documenté, intitulé : « Un carmel au XXème siècle. Le monastère du Pâquier en Suisse (1921-2021) ». Son auteur, François Walter, historien genevois, a fouillé les archives du monastère et celles de l’évêché de Fribourg pour nous offrir ce monument d’histoire. Son envergure et son intérêt vont bien au-delà des murs du Carmel du Pâquier.

Un splendide album de textes et de photos, intitulé ; « Dès le matin au Carmel » avait précédé la parution de l’ouvrage de l’historien. Le chroniqueur de ce site l’avait présenté dès sa sortie en librairie en 2021.

Et Thérèse dans tout ça ? La « Grande », celle d’Avila, réformatrice du Carmel. Luc Ruedin, un jésuite suisse, responsable de l’Espace Zundel à Lausanne, vient de publier une étude sur la voie mystique thérésienne tout en faisant remarquer son originalité dans la déferlante contemporaine des diverses voies et méthodes de méditation orientales ou occidentales. Un livre d’une centaine de pages intitulé : « Saisis par Dieu. Le château intérieur. Une lecture du Livre des Demeures de Thérèse d’Avila », paru en 2022 aux éditions Parole et Silence.

Aucune référence à la Grande Thérèse dans le film dont nous parlons dans ce blog. Si ce n’est un tableau où la sainte apparaît le sein et les flancs transpercés par des flèches tirées par des anges. Cette vision fait redoubler l’angoisse de sœur Blanche. Elle comprend que c’est Dieu qui veut qu’elle meure. Ce que va symboliser le vœu de martyre prononcé par ses sœurs carmélites. Il n’est plus question de cheminer à son aise dans son « château intérieur » quand la guillotine qui vous attend est dressée sur la place. Une urgence qui ne se discute pas vous interpelle : témoigner avec un ultime courage de la foi qui vous habite.

Il n’est pas interdit de percevoir cette exigence dans le film de Bruckberger. Loin d’être un chef d’œuvre, il pourrait bien nous émouvoir.

Du Carmel du Pâquier (photo : la rédaction)

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