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La Romandie existe !

  • Fr. Guy

C’est Alexandre Cingria qui le dit

Le peintre genevois Michel Gautier m’a prêté un exemplaire numéroté d’un essai de son grand-oncle Alexandre Cingria, intitulé « Romandie ».

J’ignorais que ce maître verrier dont on admire les œuvres dans l’église St-Paul de Genève – même si Maurice Denis le qualifia (?) un jour de « barbouilleur » – était aussi un homme de lettres. Ses œuvres littéraires souvent engagées avec une légère pointe polémique parurent dans des éditions romandes : « Les Cahiers Vaudois » à Lausanne ou, à Genève, « Les Editions du Rhône ».

C’est chez ce dernier éditeur que parut « Romandie ». Le lieu et la date de la rédaction sont mentionnés par l’auteur : l’an 1942 à Fribourg. Plus précisément à l’Hôtel « Aigle Noir » que fréquentaient alors les survivants des anciennes familles patriciennes qui gouvernaient cette cité.

Sans faire partie de ce club sélect, Cingria éprouverait-il de la nostalgie pour l’Ancien Régime ? Sûrement pas. Au temps de Leurs Excellences, on ne parlait pas de Romandie, mais de pays sujets.

Or c’est bien la Romandie qui intéresse l’auteur. Et elle existe, en dépit de l’extrême diversité de sa configuration marquée par une histoire politique, culturelle et religieuse étonnamment complexe.

L’auteur voit le lien qui donne à cet ensemble un semblant d’unité dans les sources latines qui sont à la base du français reconnu comme langue officielle dans cette région.

La langue n’est qu’un élément de cette unité. Il en est d’autres. Selon l’auteur, l’architecture, la peinture, l’artisanat et certains paysages font rêver de la Provence, de la Toscane ou de l’Ombrie.

Ce petit livre d’une centaine de pages fait revivre en quelques tableaux suggestifs, admirablement ciselés, deux mille ans d’histoire de la Romandie et brosse le portrait contrasté des cantons qui la composent aujourd’hui. Comme si Alexandre Cingria jouait à reconstituer un puzzle compliqué, décrivant au passage la singularité de chacune des pièces qui l’intègrent. Y compris la Haute-Savoie dont l’auteur regrette que le Congrès de Vienne (1814-1815) ne l’ait pas incorporée à la nouvelle Suisse qui se dessinait alors.

Cet essai a vu le jour voici quatre-vingts ans, dans une Suisse isolée sur son éperon rocheux, encerclée de peuples en guerre. L’heure était sans doute venue de redéfinir et raffermir les identités nationales et régionales qui ont fait la Suisse. On ne le sauvera pas par la sécession d’une de ses composantes ni par sa dissolution dans l’estomac vorace de la plus puissante. Pour tenir debout, la Suisse a besoin de l’alémanique Gottfried Keller et du romand Jean-Jacques Rousseau. Et bien évidemment du Tessin et des vallées romanches des Grisons.

Ceci dit, Cingria nous permet de mesurer l’écart qui nous sépare de sa vision et de ses rêves. Beaucoup d’eau a coulé depuis son essai dans le Rhône et La Sarine. Notre auteur voyait déjà poindre à son époque les signes avant-coureurs d’un changement profond. Il en donne un exemple dans la pratique des rites funéraires conservée dans le canton de Fribourg, mais déjà dépassés dans les autres villes de Romandie.

« La mort n’y est pas que ce spectacle qu’on s’efforce de faire disparaître de la vie dans certaines villes voisines, mais quelque chose de normal et voire même de bon et de beau. Et c’est ainsi qu’à Romont chaque mort s’en va accompagné de toutes les pensées et prières de la communauté, depuis le moment où commence à sonner à l’église collégiale la cloche de l’agonie jusqu’à son enterrement et même beaucoup au-delà. Si bien qu’une fois mort, on ne disparaît pas comme ailleurs irrémédiablement de la cité dont on a partagé la vie » (p. 56-57).

Que penserait aujourd’hui Alexandre Cingria de nos rites funéraires, quand se généralisent les célébrations d’adieu « dans la plus stricte intimité » et que l’incinération est devenue règle générale, y compris dans les campagnes fribourgeoises ?

Que restera-t-il demain d’une Romandie qui plie aujourd’hui sous le poids d’une mondialisation anonyme ?

Vevey, Musée de la Confrérie des Vignerons, costume du soliste du Ranz des vaches (Armailli) de la Fête des vignerons de 1955 (photo : Jmh2o/Wikipedia. Cette image est sous licence internationale Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported. L'image a été recadrée.)

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