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Trente ans après le génocide rwandais

  • Fr. Guy

Une victime revient sur ces événements et sur ceux qui les ont précédés

Ezéchias Rwabuhihi : Titre de voyage. Ponts interdits de l’exil. Editions Baudelaire, Lyon 2023, 141 pages

Je me permets de douter que beaucoup de lecteurs de cette recension connaissent l’auteur du livre qui en est l’objet. On me pardonnera d’évoquer la vie d’un ami rencontré à l’Université Nationale du Rwanda (UNR) dans les années 70, une institution dont j’étais alors l’aumônier. Sa fondation avait été confiée aux Dominicains canadiens auxquels quelques Suisses s’étaient joints.

Ezéchias, de confession protestante, était alors un membre actif de la communauté chrétienne œcuménique de cette université. Je l’ai connu étudiant en médecine, avant même qu’un pogrom anti-tutsi ne le chasse en 1973 de cette université. Une tragédie, signe avant-coureur du génocide de 1994, que le Rwanda s’apprête à commémorer par une semaine de deuil en avril prochain.

Après des études de médecine au Rwanda, au Burundi, au Sénégal et en Suisse, Ezéchias rentre au Rwanda et devient ministre de la santé. Sa retraite professionnelle lui permet de s’adonner à une autre passion : l’écriture. Ce livre consacré aux étapes de son exil en est le fruit. Pourquoi ce titre ? L’auteur se souvient avec soulagement du jour où la mention de son ethnie disparut de ses papiers identitaires. Pour être remplacée par une autre mention discriminatoire « titre de voyage » lors de ses déplacements en exil. Il reconnaît que ce titre l’avait classé dans « une caste partout indésirable. Dans les aéroports que j’ai traversés, il provoquait des allergies… Je croyais voyager avec un juge d’instruction dans ma sacoche… Je rêvais aussi que mes petits-enfants puissent vivre dans un pays où l’accueil des réfugiés du monde se ferait avec les égards dus aux VIP. » (op.cit. 6-7)

Une raison de plus d’apprécier ce livre qui dénonce une tare devenue hélas universelle. Il est bon de recevoir le témoignage de quelqu’un qui en a souffert.

Les premières pages un sentier glissant.

Puis quelques escales obligées dans des villes et pays jusque-là méconnus de notre auteur, mais qu’il découvre médusé et amusé. Il parvient enfin à Dakar, ville-lumière franco-africaine où notre ami peut poursuivre ses études médicales avec un statut de réfugié. Je laisse au lecteur, surtout africain, le plaisir et le charme de vagabonder avec l’auteur dans ces nouvelles métropoles à peine affranchies du joug colonial. Je préfère recueillir les impressions d’Ezéchias lors de son premier voyage en Europe, tout particulièrement en Suisse, mon pays et sans doute un peu le sien.

Ezéchias, ancien élève du Collège Officiel de Kigali, soutenu par la Coopération suisse et l’Eglise réformée du même pays, avait entretenu de précieuses relations avec ses anciens pasteurs et professeurs suisses dont beaucoup résidaient dans le canton de Neuchâtel. C’est grâce à leur appui et leur invitation qu’il put un jour leur rendre visite et s’offrir du même coup un tour de Suisse ferroviaire. Son récit ne cache aucune contradiction entre deux manières de vivre et surabonde de situations cocasses où les partenaires s’égarent sur des voies différentes. Croyant s’entendre et se comprendre, simplement, ils ne se comprennent pas. D’où la confusion et les quiproquos. Mais cela est si gentiment dit et décrit, sans l’ombre d’un ressentiment venimeux que l’on pourrait reprocher à l’auteur du livre.

Ezéchias, par ailleurs, ne cache pas tout le positif de certaines de ses découvertes. Par exemple, son admiration pour les chemins de fer helvétiques et la « Fête des vignerons ». « Oh le bon Suisse ! », s’exclameraient certains Suisses qui ne connaissant ni son humour ni la finesse de son intelligence seraient prêts à l’annexer à leur histoire.

Mais Ezéchias a hâte de retrouver sa dignité de citoyen rwandais à part entière et non plus celle de réfugié onusien muni d’un titre de voyage. Il va recouvrer ce privilège le 10 septembre 1994 sur le tarmac de l’aéroport de Kigali, lors de son retour sur sa terre natale après les horreurs du génocide. Je ne commenterai pas les dernières lignes de son livre chargées d’émotions qui n’appartiennent qu’à lui seul. Je me contente de citer ses réflexions qui concernent les Eglises qu’il a connues et fréquentées au Rwanda. Des mots qui pourraient aussi m’interpeler :

« Les Eglises, étonnement, arrivaient encore à prêcher sur des thèmes extrêmement suspects comme l’amour du prochain, la paix et la réconciliation. Elles ne pouvaient pas se taire. Des prophètes, venus d’ailleurs, chassaient des démons dans les maisons et annonçaient le Royaume pour exorciser les peurs de rumeurs de terrifiantes menaces des camps de réfugiés au Zaïre. » (op.cit. p.134).

Ezéchias est un croyant qui parle vrai et même fort quand il le faut. Son livre n’est pas qu’un amas de souvenirs personnels périmés, mais un témoignage de foi lucide et courageux.

© Éditions Baudelaire

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