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Ukraine

  • Fr. Guy

Hier et aujourd’hui

L’actualité m’invite à reprendre quelques extraits de notes d’un voyage effectué à Kiev en juillet 2019. Une vision pas si périmée qu’elle pourrait en avoir l’air.

Présence dominicaine

L’objet de mon voyage à Kiev fut d’abord de rendre visite aux frères dominicains vivant au 13 de la rue Derevlianska, une artère de la capitale. Une dizaine de dominicains ukrainiens, polonais et même un français logent à cette adresse. Que font-ils donc dans cette ville ? En premier lieu, Ils prennent en charge un Institut de Théologie, ouvert aux étudiants et aux chercheurs de ce pays.

Leur couvent fut autrefois une caserne de l’armée du tsar remise à neuf et réaménagée. L’ensemble forme un vaste complexe immobilier qui oblige les frères à en louer une grande partie pour équilibrer leur budget. Mais l’espace reste suffisant pour abriter les lieux conventuels et l’Institutde Théologie.

Le russe, aussi bien que l’ukrainien, est la langue de l’enseignement et des publications de l’Institut. En conformité avec l’Ukraine actuelle encore loin d’être parvenue à se réapproprier sa langue et sa culture après des siècles de russification intensive. Même l’office choral connaît semblable alternance : les frères prient les psaumes en russe tant que le bréviaire n’est pas doté d’une traduction en ukrainien.

Un site adapté aux rencontres ecclésiales

Je mesure très vite l’importance de ce centre d’étude et de recherche théologiques admirablement situé pour s’initier à la culture slave et rencontrer l’Église orthodoxe présente dans cette région d’Europe depuis le baptême, à Kiev précisément, du prince Wladimir en 888. A cet événement s’ajoute depuis cinq siècles en Ukraine occidentale l’Église minoritaire gréco-catholique. Pour les uns, un lien entre Églises d’Orient et d’Occident, pour d’autres, le cheval de Troie infiltré par Rome dans l’orthodoxie. Autant de facteurs qui militent en faveur d’une présence dominicaine qualifiée sur les rives du Dniepr.

Une histoire très complexe

Impossible de comprendre quoi que ce soit à l’Ukraine contemporaine si l’on ignore la complexité de son histoire, le plus souvent tragique. Je m’y suis astreint très succinctement avant mon voyage pour éclairer sur place ce dont je n’avais qu’une connaissance livresque.

J’ai lu que Kiev, situé sur la route commerciale qui reliait Byzance à Novgorod, est une très ancienne cité slave, peuplée par des « Rus » ou des « Ruthènes » (A ne pas confondre avec les Russes d’aujourd’hui). Gouvernée par des familles princières, la ville connut entre le 9èmeet le 11ème siècle son âge d’or. Suivirent trois ou quatre siècles où la région fut insérée dans un espace politique et géographique comprenant la Pologne, la Lituanie et la Biélorussie. Cette époque vit l’avènement de l’Eglise gréco-catholique suite au traité de Brest-Litovsk de 1596. Une majorité d’orthodoxes refusèrent toutefois d’adhérer à cette union et furent soutenus par les Cosaques qui mirent un terme à l’influence occidentale. La Russie tsariste se glissa dans cette faille, préparant ainsi l’annexion de l’Ukraine à l’empire russe. Une opération réalisée sous le règne de la « Grande Catherine », au cours du 18ème siècle.

A partir de ce moment, l’Ukraine fut une province de l’empire tsariste. Elle devint une république autonome éphémère lors des troubles révolutionnaires du début du 20ème siècle, pour tomber ensuite sous la coupe de l’Armée rouge qui en fit une république populaire de l’Union des Républiques Socialistes et Soviétiques (URSS). Au cours de ce même 20ème siècle, l’Ukraine devait récupérer ses territoires occidentaux jusque-là sous domination austro-hongroise (Galicie et Ruthénie subcarpathique), avant de subir le tragique intermède de l’occupation nazie de 1941 à 1943.

La suite de l’histoire est mieux connue. Dès la chute du mur de Berlin, l’Ukraine relève la tête et fit reconnaître son indépendance à la face des nations. Une liberté très chèrement acquise et toujours menacée. La révolution orange et les massacres de la Place Maïdan en témoignent. Des convulsions internes ultérieures permirent au pouvoir poutinien d’annexer la Crimée à la Fédération de Russie et d’encourager la sécession armée du Donbass, le nord-est russophone de la jeune République.

Mémoriaux de tragédies successives

J’ai pu méditer face aux divers mémoriaux qui rappellent aux habitants de Kiev les moments tragiques de leur histoire ancienne et récente.

Tout d’abord, face à la cathédrale St-Michel détruite sous le régime communiste, puis reconstruite pour devenir le centre spirituel et religieux de la nouvelle Église orthodoxe unifiée d’Ukraine. La statue d’une paysanne symbolise la grande famine dont fut responsable le régime stalinien des années 30 et qui décima la population ukrainienne. Derrière ce monument et faisant corps avec lui, les noms et les portraits des victimes de la Place Maïdan qui en 2014 défièrent le Président russophile et obtinrent sa destitution.

Ce qui me révulsa fut le monument dressé au milieu du Parc Baby- Yad, face au fossé où furent fusillés par les nazis des dizaines d’enfants juifs. D’autres mémoriaux dans ce parc rappellent l’horreur antisémite répandue alors dans tout le pays.

Je passai de longs moments dans ce Parc. Chaque groupe de victimes du nazisme se signale par son monument, modeste ou triomphal, poignant ou grandiloquent. Cet immense espace boisé de peupliers a des allures de cimetière même si des promeneurs cherchent un soupçon de fraîcheur le long de ses allées. On y rencontre même des enfants sur leurs trottinettes, comme s’ils voulaient conjurer la mort odieuse de leurs petits camarades fusillés sur ces plates-bandes voici un demi-siècle. Dans ce décor de mort, la vie reprend ses droits.

Là où l’art et la piété se confondent

Mais Kiev regorge aussi de monuments religieux de style byzantin dont certains sont antérieurs à la rupture entre les Églises de Rome et de Constantinople.

Et tout d’abord la cathédrale Sainte-Sophie devenue musée d’État. Édifiée en l’honneur de la Sagesse divine et de ses deux filles : Foi et Charité. Je suis ébloui par l’iconostase et la mosaïque de la Vierge orante, debout les bras levés, devant laquelle prient les dévots de cette ville.

A ses côtés, l’église dite « Réfectoire » ouverte au culte orthodoxe. Mais de quelle obédience relève-t-elle ? Deux patriarches, celui de Kiev et celui de Moscou se disputent désormais le patrimoine religieux ukrainien.

Longue station à la Laure de Kiev. Immense espace où s’enchevêtrent églises et chapelles rutilantes qui s’égrènent en cascades jusqu’aux rives du Dniepr. La plus prestigieuse, dédiée à la Dormition de Marie, fut détruite par les Soviétiques et reconstruite à l’identique en un temps record. A ses côtés, la chapelle que l’Église orthodoxe unie d’Ukraine vient de ravir aux fidèles du patriarche de Moscou dont l’autorité était jusque-là incontestée dans la Laure.

Ici c’est un peu Lourdes avec ses sanctuaires, couvents, séminaires, snacks, boutiques de bondieuseries, jardins et parcs où reprennent souffle les babouchkas, jupe tombant sur les talons et tête recouverte d’un fichu coloré. Sous la conduite d’un moine tout de noir vêtu, une litanique énumère les noms de ceux et celles pour qui l’on désire prier, mais aussi les noms de ceux et celles qui ne méritent pas cette prière. J’apprends que la prière orthodoxe pour être efficace doit respecter des règles et des formules très précises. Rien de nouveau sous le soleil de la piété populaire. Celle des catholiques connaît la même ritualité.

Mais, précisément, quels sont les saints qui font courir les foules vers la Laure de Kiev ? Réponse : les moines athonites, venus du Mt Athos vivre en ascètes dans des grottes creusées dans les berges qui dominent le Dniepr. Une galerie souterraine nous y conduit.

Je dis adieu à Kiev en visitant l’église St-Cyrille perdue dans un parc de silence et de verdure, ilot de fraîcheur à proximité d’un gigantesque complexe hospitalier. Une église construite au 9ème siècle grâce à la générosité et à la piété d’un prince. Abandonnée sous le régime communiste, l’église fut restaurée pour devenir une musée.

Réflexions provisoires

Que retenir de ce voyage ? Quelques réflexions et impressions provisoires destinées sans doute à être révisées et développées dans un avenir qui ne cesse d’être imprévisible et tourmenté.

Le peuple ukrainien a vécu et vit encore des souffrances dont plusieurs ont un goût de mort. Un malheur venu de l’extérieur mais qui s’alimente à des dissensions internes. En témoignent aujourd’hui les conflits de juridiction qui blessent l’Église orthodoxe et les tentatives de sécessions et d’annexion territoriales encouragées par un puissant voisin.

Je note aussi que l’Ukraine peine à définir son identité nationale. Pendant des siècles elle fut annexée en totalité ou en partie à divers empires qui ont altéré sa culture et porté un coup fatal à son unité. Par ailiers, elle ne connaît que depuis trente ans un régime démocratique calqué sur celui de l’Europe occidentale. Faut-il s’étonner des ratées dans la mise en œuvre de ce système politique ? En particulier, du culte de la personnalité ou de l’homme providentiel et, plus encore, de la corruption qui gangrène le pays ?

Malgré tout, on ne peut nier une volonté populaire de non-retour à la dictature. Ce que confirment les étrangers résidant dans ce pays. Le peuple d’Ukraine a payé très cher sa liberté et ne se pliera plus.

Pour le reste, les habitats de Kiev sont des gens comme vous et moi qui partagent nos préoccupations. Pas de kyrielle de mendiants sur les trottoirs, même si les salaires et revenus très bas obligent les plus jeunes à s’expatrier pour trouver un emploi. Une situation qui pourrait durer jusqu’au jour où le commerce international retrouverait son juste équilibre. L’Ukraine dispose par ailleurs d’un riche potentiel humain et de ressources naturelles. Laissons-lui le temps d’en tirer parti, dût-elle entre-temps prendre langue avec le « diable » ! Mieux vaut utiliser sa langue que les armes quand on poursuit un tel objectif.

Le monastère à dômes dorés de Saint-Michel abrite une communauté religieuse active à Kiev, la capitale de l'Ukraine (image : flickr.com/photos/vasenka)

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