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Rapport spécial : Annemasse (1951 – 1962)

  • Fr. Guy

Première partie

Un couvent transitoire

 

En 1962 les dominicains ont rétabli à Genève leur couvent supprimé au temps de la Réformation du 16ème siècle. Un séjour provisoire de dix ans (1951-1962) dans la ville française frontalière d’Annemasse a précédé et préparé cette seconde installation en terre genevoise.

Retour sur l’intermède dominicain d’Annemasse et sur les frères qui l’ont vécu.

Première partie

Antichambre dominicaine

Aux origines

Le premier couvent de Genève fut fondé en 1263. Il survécut jusqu’à la Réformation introduite à Genève au 16ème siècle par les bourgeois de cette ville soutenus par Berne, jaloux de leurs franchises menacées de disparition. En effet, le Duc de Savoie, allié du « Prince-évêque », rêvait d’annexer à ses Etats la ville du bout du Lac. 

Un vaste terrain, des Bastions au Rhône, avait été légué aux Frères Prêcheurs sur lequel s’élevait leur couvent dont il ne reste aujourd’hui plus aucun vestige.

Seule une localisation approximative le situe de nos jours dans les environs du Musée Rath et de la rue de la Corraterie qui lui est voisine.

 

Catherine Santschi, qui fut archiviste de l’Etat de Genève, est l’auteure d’une recherche historique précise et détaillée, sur ce couvent. Elle parut dans : Helvetia Sacra, Abteilung IV Die Orden mit Augustinerregel, Band 5, Erster Teil, Schwabe & CO AG Verlag, Basel, p. 351 – 390.

 

 

Temps nouveaux

Le couvent des Prêcheurs de Genève ne fut pas le seul en Suisse à disparaître au temps troublé de la Réforme du 16ème siècle.

Celui de Bâle, de Berne, de Zurich, de Lausanne, de Coire, de Coppet et de Zofingen connut le même sort.

Les dominicains ne se rétablirent en Suisse qu’à la fin du 19ème siècle, en 1890, à Fribourg, pour fonder l’Albertinum qui devait héberger une communauté dominicaine internationale formée de professeurs et d’étudiants présents à la Faculté de Théologie dont les portes venaient de s’ouvrir dans la jeune université de Fribourg.  

Dès lors, l’Ordre se fait connaître en Suisse et un groupe non négligeable de jeunes Helvètes ne tardent pas à y adhérer.

Fils de provinces dominicaines voisines (France, Lyon, Germanie, etc.) ou relevant de la juridiction immédiate du Maître de l’Ordre, ils se retrouvent dans les communautés de St-Hyacinthe à Fribourg (1938), de Lucerne (1941) et d’Annemasse (1951).

Ce n’est que le 24 juin 1953 que fut fondée la Province suisse des dominicains sous le vocable de l’Annonciation de la Bienheureuse Vierge Marie. Cette nouvelle entité de l’Ordre comprenait à cette date les trois communautés, devenues entre-temps couvents de Fribourg, de Lucerne et d’Annemasse.

Pourquoi Annemasse ?

La Constitution fédérale suisse en vigueur au milieu du 20ème siècle maintenait encore les articles dits d’exception formulés contre l’Eglise catholique suite à la guerre du Sonderbund de 1847, aggravés encore lors d’une révision de la Constitution dans la foulée du Kulturkampf au cours des années 70 du même dix-neuvième siècle.

L’article 52 prévoyait l’interdiction de créer de nouveaux « couvents » sur le territoire de la Confédération ou de rétablir ceux qui avaient été supprimés.

Un vote populaire abolit en 1973 ces dispositions discriminatoires qui étaient toujours en vigueur en 1951 quand les frères dominicains suisses décidèrent de s’établir à Genève. D’où la fondation d’une communauté dans la ville française frontalière d’Annemasse, à proximité de leurs lieux de travail dans la cité de Calvin.

Dix ans plus tard, ils firent valoir la prise en charge d’une paroisse genevoise, celle de St-Paul en l’occurrence, située dans la commune de Cologny, pour justifier leur présence sur le territoire suisse. Une installation qui ne contredisait pas formellement les articles constitutionnels.

Officiellement, leur couvent fut appelé « Centre St-Thomas », tout en demeurant couvent selon la législation de leur Ordre. 

De nos jours, les articles d’exception définitivement abolis, l’appellation « Centre St-Thomas » est devenue caduque, laissant toute sa place au « Couvent St-Dominique et Pierre », titre du premier couvent dominicain fondé à Genève en 1263.

Rue Malbrande

Début des années 50, les dominicains suisses achètent donc une propriété au 11 de la rue Malbrande dans la ville d’Annemasse et s’y installent en 1951, deux ans avant l’érection canonique de la Province dominicaine suisse.

Selon des témoins, cette demeure, entourée d’un jardin, avait le style d’une maison bourgeoise du dix-neuvième siècle et elle aurait abrité un certain temps le consulat d’Italie. Les dominicains firent construire en annexe une chapelle ouverte au public.

Ces bâtiments furent détruits après leur départ pour faire place à une école privée. Malheureusement, nous ne disposons d’aucun document photographique du couvent d’Annemasse, hormis un cliché de médiocre qualité...

Nous avons visité l’Ecole Saint-François qui occupe désormais la parcelle.

Elle abrite aujourd’hui 16 classes maternelles et élémentaires, soit un total de 444 élèves.

Les Prêcheurs peuvent être fiers d’avoir permis l’éclosion et le développement d’une institution scolaire, même si leur nom et leur mémoire se sont évanouis dans le paysage local. Seuls, un autel et une statue de la Vierge qui complètent le décor d’un oratoire de l’actuel couvent de Genève évoquent ce séjour hors frontières.

Sans parler bien sûr des frères qui d’Annemasse émigrèrent à Genève et dont nous avons conservé le souvenir. 

Il est temps de les faire revivre.

Les frères d’Annemasse

Les dominicains furent présents à Annemasse dès l’année 1951.

Mais ils ne figurent dans le catalogue de la Province suisse qu’à partir de 1953, date de l’érection canonique de cette Province.

Nous avons pu consulter les catalogues provinciaux jusqu’au transfert à Genève du couvent d’Annemasse en 1962. La dernière mention d’Annemasse date de 1961 et fait part de 14 frères assignés à ce couvent, mais tous n’y résident pas, comme les frères Etienne Dousse et Jean Turini déjà en activité à la paroisse St-Paul, les frères Mannès Louis et Luc Dumas présents au Foyer des Etudiants de Lausanne, ainsi que le frère Maurice Delaloye, aumônier à la Clinique psychiatrique Bel Air de Genève.

Hormis Luc Dumas, tous les frères suisses mentionnés dans la liste de 1961 sont décédés.

On demeure sans nouvelles de trois frères étrangers également assignés à cette date au couvent d’Annemasse : le frère Aelred MacCarthy, aumônier de la communauté anglophone de Genève, le frère Augustin Fresson, aumônier des Organisations Internationales et le frère Dominique Long-Tiên, étudiant à l’Université de Genève

La maison d’Annemasse devenue couvent a connu une fluctuation dans l’effectif des frères qui lui furent assignés. Certains n’ont fait qu’y passer quelques mois, d’autres quelques années. Nous mentionnons aussi leurs noms dans cette chronique : les frères Raphaël Oechslin, Thomas Allaz, Humbert Conus, Augustin Cattin, Colomban Frund, Vincent PythonMannès Chatelain, Jean Turini, Etienne Dousse, Aelred MacCarty, Mannès Louis, Luc Dumas, Dominique Long-Tiên et Augustin Fresson.

Quatre frères cependant ont vécu toute la décennie annemassienne de 1951 à 1961. Ces quatre frères ont laissé des traces profondes dans le paysage franco-genevois et, pour l’un ou l’autre, bien au-delà.

Les quatre pionniers

Le frère Jean de la Croix Kaelin fut certainement l’artisan de l’installation des dominicains à la rue Malbrande d’Annemasse. Il en fut d’abord le supérieur, pus le premier prieur de 1953 à 1956. Remplacé à cette charge par le frère Jean Turini (1956-1959), puis par le frère Marie-Martin Cottier dont il deviendra le sous-prieur après le transfert du couvent d’Annemasse au Centre St-Thomas de Genève. Le frère Kaelin fut aussi la cheville ouvrière de ce déplacement et inspira le choix de la paroisse St-Paul.

Ce fut au cours de son séjour à Annemasse que le frère Jean-de-la-Croix assuma avec brio la charge d’aumônier universitaire à Genève dont le Centre d’activités se situait alors à la Rue de Candolle.

Il poursuivit des années durant cette pastorale avant de vernir au secours de la petite communauté de Lausanne.

Puis, il passa quelques années au couvent St-Hyacinthe de Fribourg avant d’être rappelé à Genève pour être vicaire à la paroisse St-Paul dont le frère Dominique Louis était alors le curé.

Il vécut ensuite une retraite heureuse et féconde comme aumônier des Sœurs dominicaines de Béthanie à Sankt-Niklausen en Obwald et passa ses toutes dernières années dans notre maison de Lucerne. C’est dans cette ville qu’il décéda le 17 mars 2016, à l’âge de 97 ans.

Il repose au cimetière des Sœurs dominicaines de Lucerne.

Le frère Paul Cattin fit aussi partie de la première caravane et l’accompagna lors de son déménagement vers Genève. Il ne devait plus quitter le Centre St-Thomas jusqu’à sa mort survenue le 24 mai de l’an 2000. Prédicateur estimé, il exerça aussi avec compétence la charge de syndic (économe) de son couvent et de la Province suisse.

Le frère Henri de Riedmatten fut surtout présent dans le monde international de Genève et particulièrement aux affaires du St-Siège. Conservant son bureau de la rue de Varembé, il ne résida pas au Centre St-Thomas, mais devint supérieur de la maison dominicaine de Lausanne, puis prieur du couvent St-Hyacinthe de Fribourg, contraint à se déplacer chaque matin vers son lieu de travail genevois.

Appelé ensuite à Rome pour créer et diriger l’organisme humanitaire Cor unum, il décéda prématurément dans cette ville le 9 avril 1977, à l’âge de 58 ans.

Des quatre pionniers le frère (Georges) Marie-Martin Cottier est sans doute le mieux connu. Dès le début de son implantation à Annemasse, la communauté dut compter avec ce jeune frère genevois, alors doctorant à l’Université de Genève. Ses grades obtenus, il deviendra chargé de cours de philosophie dans cette même université, puis dans celle de Fribourg, et secrétaire de rédaction de la revue « Nova et Vetera », un héritage que lui lèguera le cardinal Journet, son mentor. Jusqu’à sa mort, le frère Marie-Martin enrichira « sa » revue de ses articles et autres contributions.

Le frère Marie-Martin Cottier était prieur du couvent d’Annemasse au moment de son transfert à Genève. Il exercera cette charge au moins à deux ou trois reprises par la suite.

 

Il était encore prieur le jour où il fut appelé à Rome pour devenir « Théologien de la Maison pontificale », une fonction traditionnellement confiée à un Frère Prêcheur, connue autrefois sous le titre de « Maître du Sacré Palais ».

Suit alors pour notre frère un long séjour romain couronné par une promotion cardinalice.

C’est à Rome qu’il décède le 31 mars 2016, à l’âge de 94 ans.

 

La deuxième partie de ce rapport spécial suivra la semaine prochaine

— le Rédacteur

Annemasse vu du ciel (Wikipédia)

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