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Un père et un fils qui ne se parlent pas

  • Fr. Guy

La faute à l’immigration ?

Rachid Benzine, Les silences des pères. Seuil 2023, 173 pages

Après le roman autobiographique (?) « Ainsi parlait ma mère » paru il y a deux ans et recensé dans ce blog, le même auteur, chercheur et professeur à Louvain, poursuit le décryptage d’une saga familial – la sienne ou une autre plus  romanesque ? – dans un nouveau livre paru chez le même éditeur.

Après la parole des mères, voici donc celle des pères. Ou plutôt leur silence. Mais le contexte social est le même : l’univers de l’immigration marocaine en Europe occidentale et tout particulièrement en France.

L’intrigue est simple. Pendant des années, le narrateur n’a eu aucun contact avec son père jusqu’au jour où il apprend par téléphone son décès. Il se décide alors de se rendre à Trappes, le dernier domicile du défunt, et découvre dans les affaires laissées par son père une quantité de cassettes audio adressées à son grand-père demeuré au Maroc. Chacune retrace une étape parcourue par son père, ouvrier immigré dans divers lieux de France : agricole, minier, maritime, maraicher, ou simplement industriel. Le fils entend une voix qu’il avait oubliée et découvre à travers elle la trajectoire d’un immigré marocain qui se révèle être son père.

Le livre est mince. Je laisse à son lecteur éventuel le plaisir de suivre l’auteur dans les divers méandres du parcours de ce père silencieux. Il retrouvera le style plaisant, parfois truculent, de Rachid Benzine, toujours facile et accessible. Je me limite quant à moi à trois réflexions hors du contexte précis de ce roman, mais qui ne lui sont pas totalement étrangères.

Ma première question concerne le silence réciproque entre ce fils et son père cloisonné dans sa maison, avec sa femme, ses filles et ses chantiers. Quel dialogue imaginer entre ces deux hommes ? L’hérédité n’explique pas tout. Il est plus facile au travailleur immigré de communiquer avec son père qui n’a jamais quitté le Maroc qu’avec son fils « dénaturé » par une culture étrangère. J’ai cru comprendre que cette même incompréhension et incompatibilité pouvaient exister dans nos régions peuplées d’immigrés venus de partout. Avec les dégâts familiaux que ce roman nous fait pressentir. 

Ce livre agacera ceux et celles qui dans nos pays considèrent les immigrés comme responsables des violences et de la crise de l’emploi. C’est trop vite oublier que l’Europe, pour ne parler que d’elle, s’est construite au fils d’immigrations successives. Certaines assez semblables à celle décrite dans ce livre. Je me souviens encore de la condition des « saisonniers » qui dans les années 60 déferlaient dans notre pays. Nous leur devons nos barrages électriques, nos routes et tant d’autres institutions scolaires, médicales ou sociales. C’est aussi trop vite oublier que plusieurs régions de Suisse furent il n’y a pas si longtemps des terres où la pauvreté et la misère multipliaient le nombre des candidats à l’émigration. « Nova Friburgo » au Brésil n’est pas un cas particulier.

Enfin, nos Ecritures parlent des chrétiens comme des immigrés de passage ici-bas et que leur appartenance identitaire est « dans les cieux » puisqu’ils ont Dieu pour Père. Et pour concilier tous les croyants du Livre, faut-il leur rappeler une formule célèbre : « Mon Père Abraham était un araméen errant » à la recherche d’une patrie au-delà de celle qu’il croyait posséder.

© Éditions du Seuil

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