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Une histoire de chausettes

  • Fr. Guy

Parabole

Une fois n’est pas coutume. Pas de recension de livres dans cet article de blog, ni de réflexions mystico-théologiques.

Descedons de la montagne et rejoingons Sophie autour de sa corde à linge. Elle désespère puis se réjouit de retrouver la chausette égarée qui ira rejoindre sa jumelle éplorée.

Ce n’est pas un conte, mais un humble service rendu par cette épouse, mère de trois grands fils. Sophie en a fait un texte, lu à notre radio romande en hommage à ce « travail servile » souvent dévolu aux mamans et aux femmes de ménage.

Libre à vous d’en faire une parabole et d’en découvrir la pointe : la recherche de l’âme-sœur, le difficile retour au bercail ou alors l’éloge de la fugue et de l’autonomie rebelle…

Un brin de Pentecôte dans cette corbeille. L’Esprit unit ce qui est opposé, mais sans détruire la diversité.

Sophie Parlatano Erbrich est une de nos amies. Mère de famille, mais aussi écrivaine à ses heures, attentive à l’écoute et aux formations centrées sur la personne.

 

La lessive est finie

« La lessive est finie. Il faut maintenant étendre chaque vêtement sur le fil. La main dans la corbeille à linge, j’extrais une à une les chaussettes du magma de vêtements encore humides.

J’ai beau leur dire et leur redire de nouer ensemble les paires, la plupart des chaussettes finissent uniques. Sans leur douce moitié. Je plonge ma main pour les pêcher parmi les vêtements mouillés, tire sur les fibres dont l’élasticité soudaine me surprend. À cause de l’humidité, je peine à distinguer les couleurs d’origine, alors je me trompe parfois de paires et suspends sur l’étendoir, par exemple, une chaussette bleu foncé à côté d’une noire.

Constatant mon erreur, je m’empresse de les espacer de quelques centimètres avec l’espoir de trouver rapidement la jumelle manquante. J’accélère le tempo. Saisissant un à un les autres vêtements, je me dépêche de les étendre sur les autres fils disponibles, réservant les barres extérieures, plus larges, aux pièces les plus délicates que les plis induits par le séchage risqueraient d’abimer. La tâche accapare toute mon attention, et cet étrange empressement ne me quitte plus, entre fébrilité entêtée et joie d’en finir.

Peu à peu la corbeille en plastique se vide. Il arrive qu’une chaussette jaillisse encore par surprise de sous le tas de vêtements. Je la saisis, la brandis presque, la maintiens un bref instant dans ma paume, le temps de vérifier que sa jumelle se trouve bien encore en attente au fond de la corbeille.

Si je ne la vois pas dans la corbeille, je la cherche sur l’étendoir, passant en revue du plat de la main les chaussettes dépareillées et sèches, accumulées sur son bord, certaines depuis plusieurs semaines. Des chaussettes de taille et de couleurs variées, des neuves, d’autres usées jusqu’à la trame. Lorsque le moment arrive de reconstituer une des paires en attente, c’est un véritable événement que je vis. Je prends le temps de contempler, côte à côte sur le fil, la chaussette souple et humide et sa jumelle ratatinée, rigidifiée par la sécheresse de la chambre.

Mon sourire n’est que le simple signe d’une jubilation, en vérité, que la pudeur m’oblige à garder toute intérieure. Mon cœur cogne, mon souffle augmente. Ma main, en réunissant enfin la paire manquante, accomplit une réparation dont la portée m’échappe, bien plus vaste que les apparences. Peut-être que c’est cela, un peu, le sentiment de réussir. »

Sophie Parlatano

Les petites tricoteuses (Die kleinen Strickerinnen), Albert Anker, 1892. Collection Oskar Reinhart, Winterthur. Wikipédia.

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