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Une quête de sens

  • Fr. Guy

Entre athéisme et sourire

Etienne Barilier, Absolument la vie. Entre athéisme et sourire, Ed. Labor et Fides, 2022, 100 pages.

Je n’aurais jamais lu ce petit livre, par chance encore disponible, si ma sœur ne m’en avait pas parlé. Le nom de l’auteur ne m’est pas inconnu. Ne serait-ce que pour l’avoir lu à quelques reprises dans les colonnes de l’Echo-Magazine, un périodique romand où je publiais autrefois quelques modestes écrits.

Né en 1947, ce romancier et essayiste vaudois, fils de pasteur et de santé fragile, n’a cessé de se poser la question du silence de Dieu quand on l’invoque dans nos détresses. Son épouse malade, par contre, avait «la foi heureuse». Elle ne voyait pas la douleur partout et n’en faisait pas un argument. Pour elle, Dieu n’était pas absent. Il suffisait d’aimer la vie.

Ces propos puisés dans la page 4 de couverture m’ont encouragé à lire cet opuscule. De même que le fait que ma sœur l’avait lu et relu. En me prêtant son exemplaire personnel, elle visait évidemment mon bien. Et voici mes réflexions nées de cette lecture.

Le premier chapitre intitulé « Guérison miraculeuse » m’a décontenancé. Manifestement l’auteur n’y croit pas. Sa chère Monique est décédée de mort naturelle. Une image végétale lui sert d’explication. Le cerveau de son épouse est devenu malade comme les feuilles d’un arbre atteint par un chancre. Elles ont desséché l’une après l’autre, avant que les rameaux se dénudent et que l’arbre tout entier finisse par tomber. Non que les prières pour obtenir la guérison ne soient inutiles, même si personne n’y répond. Elles apportent au malade un remède illusoire à sa solitude qui, elle, n’est pas illusoire. Si Dieu n’intervient pas, c’est donc qu’il n’existe pas. Est-ce bien l’avis de l’auteur ? Ou mon interprétation ? J’ai besoin d’avancer dans ma lecture pour en avoir le cœur net. Le silence de Dieu, me semble-t-il, peut avoir d’autres raisons que son inexistence.

Le chapitre 3 évoque la révolte d’Yvan Karamazov contre un Dieu qui n’intervient pas quand des enfants innocents souffrent. Mais Yvan n’accepte pas l’idée que ce Dieu n’existe pas. Sa révolte le prouve. Ce qui n’est pas le cas de Barilier : « Nous qui donnons du sens à ce qui n’en a point par soi-même, nous qui sommes au monde les donneurs de sens, allons-nous interrompre notre tâche et prétendre résolu ce qui ne l’est pas, ce qui ne l’est moins que jamais ? Non, tout reste à faire, tout reste à penser, tout reste à aimer, heureusement. » Bref, même si Dieu n’existe pas, nous ne baissons pas les bras. Il y a encore place pour la vie, pour l’amour. Du moins est-ce ainsi que je comprends Barilier.

J’en suis à la moitié du livre et je ne l’ai pas encore jeté à la poubelle. Les lignes que je viens de lire sont nettement biographiques et narrent des moments d’enfance qui auraient pu être heureux si la religion ou la respectabilité convenue ne les avait pas perturbés. Par endroit, j’ai cru lire ma propre histoire, bien différente, mais analogue. Dans un village romand des année 50 du siècle dernier, la cure d’un pasteur vaudois avait quelques similitudes avec le foyer d’un instituteur catholique du pays fribourgeois. Des similitudes qui à la fois me peinent et m’amusent maintenant. Est-ce la raison qui explique que ma sœur m’a prêté son exemplaire personnel du livre de Barilier ?

Les pages suivantes sont une forme d’éloge de la foi de son père, fidèle à la raison certes, mais non théologien libéral, plutôt fidéiste. Barilier déniche les vrais athées chez les théologiens contemporains – les post-chrétiens – dont les interprétations réduisent les Ecritures à n’être que symboles. Pour ne rien dire des dogmes auxquels ils n’adhèrent pas. Barilier s’en prend aussi à la théologie négative qui depuis Platon à Jean de la Croix refuse de dire la moindre parole sur l’Indicible. Comme si Dieu n’existait que par l’épaisseur du silence qui l’entoure. Mais le mépris de l’auteur vise plutôt les «ergoteurs » dont la bouche déborde de paroles pieuses et qui interdisent aux plus jeunes de donner leurs avis.

Me voilà presqu’au terme de la lecture du livre. Je dois avouer que son auteur est doué d’une plume très fine et d’une érudition littéraire et philosophique qui me rend jaloux. Il multiplie vers la fin de son ouvrage des réflexions fondées sur des faits de vie, même si elles s’éloignent du thème principal que j’avais cru découvrir dans son ouvrage. Ainsi un développement sur les regards croisés entre parents et enfants et une digression non sans intérêt sur la « caste » internationale et très diversifiée des fils de pasteurs.

Les lignes que j’achève de lire concernent la Beauté qui devrait sauver le monde. Non pas le Beau transcendantal philosophique qui s’ajoute au Vrai, à l’Un et au Bien. « Il y a une beauté qui se donne sans rien attendre, ni notre vertige, notre désir, notre souffrance. Monique a l’air de prendre conscience que cette beauté, bel et bien existe. La beauté ne sauvera pas le monde, mais elle sera le monde ». Reste à lire les toutes dernières pages du livre. Elles devraient étoffer et éclairer cette révélation.

Finalement, je ne regrette pas d’avoir lu ce livre jusque à ses dernières lignes. J’ai plutôt honte de ma stupidité initiale qui confondait cet écrit avec un manifeste d’athéisme contemporain. Non que l’auteur se soit converti au protestantisme paternel ou au catholicisme de Monique, l’épouse bien-aimée qui meurt entre ses bras.

Barilier s’avoue agnostique, en recherche de divin, après l’avoir pressenti dans le regard et le sourire de l’être aimé au cœur même de sa souffrance. Sans doute, est-ce une maladie dégénérative qui a privé progressivement Monique de toutes ses facultés, sauf de son sourire.

Faut-il espérer des retrouvailles dans un paradis « mystérieux » à la Fra Angelico ? Non. « Mais tout simplement retrouver l’enfant et la jeune fille, au cœur d’un jardin riche de fleurs et de paysages, des êtres et des fleurs qu’elle savait contempler, des êtres et des œuvres qu’elle savait aimer. Riche surtout de son élan, de sa clarté, de son courage. Les portes ne sont pas refermées. » Tant mieux pour Barilier ! Tant mieux pour nous tous !

Ed White effectue la première sortie dans l'espace des États-Unis (image : Wikipedia/Soerfm. Cette image est sous licence internationale Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported)

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Commentaires :

  • user
    Frauenfelder Eliane 28/04/2024 à 17:28

    Merci Frère Guy.

    J avoue mon ignorance de ne pas connaitre cet auteur et cet ouvrage.

    Merci d'avoir partagé votre opinion sur son contenu et l auteur.

    Au plaisir de vous revoir je vous envoie mes cordiales pensées.

    Eliane