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Les « Six Ages du Monde »

  • Fr. Guy

Un manuscrit valaisan réhabilité

Stève Bobillier : Le manuscrit des six âges du monde. Généalogie d’une lutte contre le diable de la Création à l’Apocalypse, Presses Inverses, Prilly 2022, 267 pages.

Notre petit pays n’a pas que des établissements bancaires à faire valoir ; il détient aussi quelques trésors artistiques dont il pourrait se vanter. En particulier, de riches manuscrits qui ont survécu depuis l’époque médiévale et même en-deçà.

Qui n’a pas entendu parler des parchemins conservés dans la bibliothèque de l’ancienne abbaye de St-Gall ou de la célèbre Bible carolingienne de Moutier-Grandval dans le Jura ? Un trésor que les aléas de l’histoire ont éloigne au British Museum. Par chance, un musée de Porrentruy a pu récupérer le « Graduel » de l’abbaye prémontrée de Bellelay, dans le Jura elle aussi.

Et voici que Stève Bobillier, historien et philosophe, professeur au Collège St-Michel de Fribourg, vient d’entreprendre une édition et une traduction d’un manuscrit conservé aux Archives de l’Etat du Valais dont le contenu pourrait ne pas être étranger aux réactions de certains chrétiens face aux crises que nous traversons.

En fait, il s’agit d’un manuscrit en langue locale provenant du Nord de la France, composé au tournant des 14ème et 15ème siècles. Il fut acquis par la famille sédunoise « Supersaxo », sans doute par l’un de ses membres les plus éminents, le prince-évêque de Sion, Walter Supersaxo (1402-1482). On doit à ce prélat la fondation d’une bibliothèque familiale où devait être exposé le manuscrit dont il est question.

Un document d’une importance exceptionnelle, selon Stève Bobillier. Tant par l’intérêt que suscitent son contenu et la qualité de sa conservation que par ses dimensions. « Le manuscrit est en effet un rouleau s’étalant sur plus de 8 mètres, pour une largeur de 47 centimètres » (p.11). Un arbre généalogique géant le traverse de part en part, correspondant aux « six âges du monde » qui s’engendrent en quelque sorte l’un de l’autre.

Cette doctrine historico-théologique s’est répandue dans la chrétienté à partir de Grégoire de Tours (538-594). Cet évêque-historien distingue six périodes dans l’histoire du monde, depuis sa création jusqu’à sa phase terminale. Six âges, en référence aux six jours qui furent nécessaires à sa création. Des périodes bien limitées dans le temps pour les cinq premières qui font référence à des événements de l’histoire biblique ou profane. Le sixième et dernier âge s’inaugure avec la naissance du Christ et s’achèvera par le Jugement Universel et, simultanément, par la fin du monde que nous connaissons. Mais personne ne peut savoir avec exactitude la date de ces deux événements conjoints.

D’où l’angoisse des humains – et nous en sommes ! – qui vivent cette ultime étape de l’histoire du monde sans pouvoir connaître la date de sa fin. Serait-ce ce soir, demain ou après-demain ? Une angoisse redoublée par la présence d’esprits diaboliques de plus en plus agressifs en cet âge ultime qui devrait décider de leur victoire ou de leur échec définitif. Depuis le premier jour de la création, avec la chute de Lucifer, Satan est en embuscade. En ces jours qui sont les derniers, la guerre entre le bien et le mal est déclarée.

On ne s’étonnera pas que ce manuscrit ait pu naître à une époque de l’histoire européenne particulièrement troublée. La guerre de cent ans (1337-1453), la peste noire du milieu du 14ème siècle, le grand schisme d’Occident au tournant des 14ème et 15ème siècles ouvraient la voie aux pires prophéties de malheur. Il fallait dénicher le mal partout où il se cachait afin d’échapper aux horreurs encore à venir. Autrement dit, il fallait combattre le diable sous tous ses déguisements. A commencer par ses suppôts, sorciers mais surtout sorcières. Notre manuscrit servit en effet d’incitation aux procès de sorcellerie dans le diocèse de Sion qui, comme dans toute la Suisse catholique ou réformée, allaient sévir jusqu’au 18ème siècle.

L’édition et l’analyse du manuscrit sont heureusement accompagnées de précieuses notes complémentaires de l’auteur. Citons parmi d’autres la description et la datation du manuscrit, ses sources, la doctrine des six jours du monde, la lutte contre l’Antéchrist. Et les très nombreux éléments photographiques reproduisant les illustrations contenues dans le manuscrit.

Au final, une œuvre remarquable qui n’intéressera pas que les archivistes et les historiens avertis, mais ceux et celles qui sans pouvoir se rendre dans un musée de la ville de Sion, s’interrogent sur leurs croyances et ses pratiques. Un moment d’histoire assurément périmée, mais non sans conséquences sur le sens que nous donnons à notre histoire d’aujourd’hui.   

Le «Manuscrit des six âges du monde» (image : e-codices)

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