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Vatican : fin d’un monde ou fin du monde ?

  • Fr. Guy

Les prophéties d’un journaliste

Henri Tincq, Vatican, la fin d’un monde, Cerf 2019, 242 p.

Voici un mois, le 29 mars 2020, décédait Henri Tincq, journaliste au Monde et vaticaniste français de haut vol, victime lui aussi du coronavirus. Un an plus tôt, le 25 mai 2019, Il mettait un point final à à son dernier livre qui signait l’arrêt de mort d’une certaine Eglise, sans toutefois désespérer d’en voir surgir une autre des cendres de la première.

Son nom évoque chez moi celui d’un autre journaliste français vaticaniste, au service du même quotidien, qui soixante ans plus tôt se réjouissait de voir advenir une Eglise conciliaire qu’il présentait avec enthousiasme dans un ouvrage intitulé « Le catholicisme, religion de demain » (Grasset 1962). Mes contemporains se souviendront bien sûr d’Henri Fesquet, l’auteur de ce livre et de ses chroniques des débats conciliaire rassemblées plus tard dans : Le Journal du Concile, paru en 1966.

On admire chez l’un et l’autre Henri, l’ancien et le moderne, la même acribie et la même envergure qui marquèrent leurs investigations, la rigueur et l’honnêteté avec laquelle ils traitaient leurs sources et, cerise sur le gâteau, l’élégance de leur style. Mais quelle différence de perspective ! Alors que Fesquet entrevoyait une Eglise pleine de promesses, Tincq, non sans amertume, décrit la décadence ignominieuse de celle des trois derniers papes et prédit sa disparition prochaine. Le cœur serré, le journaliste croyant se demande s’il n’a pas couru en vain.

Henri Tincq commence par se remémorer les trois dates charnière de cette tragédie : les obsèques triomphales de Jean-Paul II, le 8 avril 2005, qui mettaient fin à un pontificat lourd d’ambiguïtés ; la renonciation, le 11 février 2013, de Benoît XVI, fatigué et dépassé par sa charge et l’élection le 13 mai de la même année de François, nouvel Hercule qui se donnait mission de nettoyer sa maison, mais en butte à une opposition qui le conteste désormais en plein jour.

Inutile de revenir sur les scandales qui expliquent la « sidération » de Tincq : les abus sexuels commis depuis des décennies par des prêtres, l’emprise physique et psychique exercée par des religieux ou religieuses sur des personnes fragiles, l’influence d’un lobby gay au sein de la curie romaine, la fronde d’un groupe d’évêques et de cardinaux s’opposant aux tentatives de réforme du pape François.  Tout cela est hélas bien connu et interprété par Tincq comme autant de signes annonciateurs de la débâcle qui s’en vient. Mieux vaut faire mention des « chantiers de reconstruction » préconisés par le journaliste.

Le premier est d‘en finir avec l’absolutisme romain et le cléricalisme patriarcal. Envisager une Eglise décentralisée, tenant compte de la multiplicité et de la singularité des cultures qui l’intègrent. Promouvoir des ministères ecclésiaux assumés dans la complémentarité et non plus sur une règle hiérarchique et pyramidal gouvernée par une caste de clercs séparés des autres baptisés.

Le deuxième chantier est d’en finir avec l’hypocrisie sur le sexe, le célibat, la chasteté qui devraient retrouver leur lustre après avoir été passés au crible de la transparence et de la vérité. En finir aussi avec l’exclusion des femmes des charges conférées par une ordination sacramentelle.

Le troisième chantier invite la nouvelle Eglise à se départir de son jugement moral autoritaire, disciplinaire, hautain et méprisant. On ne lui demande pas d’adhérer aux pratiques qu’elle condamnait jusque là, mais, suivant l’exemple de Jésus, d’accueillir ou du moins comprendre la nouvelle société fondée sur des valeurs qui ne sont pas celles de sa morale traditionnelle. « L’Eglise n’est plus la gardienne des mœurs et des petites doctrines. Comme un « hôpital de campagne », elle soigne d’abord les cœurs brisés, témoigne de l’amour de Dieu pour ceux qui en sont le plus éloignés : les gays, les femmes qui avortent, les divorcés qui se remarient » (p.227).  

Tout cela est bel et bon, mais ne m’empêche pas de me questionner. De quelle Eglise parle-t-on ? Celle de Tincq, me semble-t-il, se confond avec une structure externe surannée que l’on pourrait remplacer si on avait la volonté et le courage de le faire.  Mais est-ce bien l’Eglise fondée sur la foi de Pierre dont la mission, comme celle de Jésus, est de faire connaître l’amour miséricordieux d’un Père trop souvent ignoré, renié ou mal aimé ?  Le pape, les évêques et les autres clercs sont au service de cette mission qui ne leur est pas exclusive. Ils n’ont donc pas le droit de se l’approprier. D’autres baptisés sont en mesure de l’exercer. Henri Tincq y fait trop peu allusion. Ce sont ces saints anonymes - des saints qui n’en ont pas l’air ! – qui constituent le roc de l’Eglise contre lequel « la puissance de la mort n’a pas de prise » (Matthieu 16, 18).  C’est la foi de Pierre exprimée par son martyre sur une colline de Rome appelée déjà Vatican à son époque, mais sans colonnades ni palais apostolique.

Quand le Christ promet à ses disciples –  la première Eglise – son assistance jusqu’à la fin des temps, c’est à cette foule de témoins qu’il songe. Ils n’ont jamais manqué, surtout dans les périodes les plus sombres de l’histoire de l’Eglise. Aujourd’hui encore, au milieu des éclaboussures qui nous salissent, nous recueillons leurs témoignages. Ils attestent l’amour et s’exposent pour le faire vivre.

En résumé, Henri Tincq a bien raison de dénoncer et de lancer son cri. Des structures ecclésiales décadentes, devenues perverses, doivent faire place à de nouvelles. Mais la fin d’un monde n’est pas encore la fin du monde. D’où les trois chantiers que notre journaliste aimerait voir ouverts sans tarder. Projet titanesque dont la réalisation n’évitera pas d’autres scandales si l’amour et la foi ne sont pas au cœur de l’entreprise.

« Mais le Fils de l’Homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » (Luc 18,8).

© Éditions du Cerf

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