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Femmes Guerrières

  • Fr. Guy

Une panoplie de combattantes

J’ai sous les mains un livre de quelques 250 pages, paru cette année chez Grasset, très flatté et recommandé par les médias catholiques. Il est intitulé « Eloge d’une guerrière » et son auteur est Jean de Saint-Cheron, un nom bien connu dans ces milieux.

 

Jeanne d’Arc et Thérèse Martin

J’ai d’abord cru avoir à faire à un hommage différé rendu à Jeanne d’Arc, liturgiquement et civilement fêtée au cours de ce mois de mai. On pardonnera mon erreur. Il s’agit en fait de Thérèse de Lisieux dont on commémore cette année le cent cinquantième anniversaire de sa naissance.

A priori, seule leur mort prématurée pourrait rapprocher les deux saintes. La carmélite mourut à 24 ans et la Pucelle d’Orléans périt sur le bûcher à 19 ans. Ceci acquis, apparemment rien de commun entre la cavalière tirant l’épée et la religieuse cloîtrée, au sourire tristounet, son éternel bouquet de roses dans les bras. Un peu mièvre notre carmélite, même après avoir lu son « Histoire d’une âme », censurée et amputée par d’autres saintes âmes gardiennes de la bonne doctrine.

Le mérite de l’auteur de ce livre est de nous restituer une Thérèse authentique, une femme non atrophiée, combattive et combattante dans le creux de multiples épreuves physiques et spirituelles. Ce qu’elle appelait : « mourir au champ d’honneur ». Une guerrière, sans conteste.

 

Bernadette Soubirous

Je suis tenté de rapprocher ce portrait de Thérèse de Lisieux de celui de Bernadette Soubirous tel que vient de le brosser Philippe Le Guillou, romancier, poète et écrivain au succès confirmé. C’est le sujet de son dernier ouvrage : « La sainte au rocher. Sur les pas de Bernadette à Lourdes et à Nevers ». Ce livre a paru également cette année 2023, mais chez l’éditeur Salvator et compte 168 pages.

Une Bernadette saisie dans son milieu de vie : le cachot misérable qui servait de logis familial, le village de Bartrès où elle était bergère et l’austère couvent de Nevers où elle vivait effacée au service des pauvres et des malades. Une histoire de vie sans éclat ni relief, mais fidèle à ce qui un jour apparut à cette jeune pauvresse venue ramasser une brassée de bois mort dans une obscure grotte du pays de Bigorre. Bernadette fut à la fois combattante et combattue pour avoir défendu sa vision avec humilité, mais aussi avec une robuste, intrépide et constante obstination. Elle aussi est une guerrière, sans armes à la main, mais prête au sacrifice quand il s’agit de sauvegarder son intime conviction.

 

Catherine Benincasa

Je pourrais bien sûr allonger la liste de ces saintes guerrières, celles qui ont défrayé la chronique et les plus nombreuses demeurées anonymes. Dominicain, je m’en voudrais toutefois de ne pas relever la présence dans ce cortège de Catherine Benincasa, fille d’un teinturier de Sienne, femme de caractère s’il en fut, imitatrice et amoureuse de Jésus au point de mourir comme lui à l’âge de 33 ans. J’ai déjà recensé dans ce blog le livre que lui a consacré l’historien André Vaucher qui relate sans fard les combats politiques et spirituels de cette toscane inculte. Ils lui valurent un jour d’être proclamée « docteur de l’Eglise » et même « patronne de l’Europe ».

 

Claire Marie Jeannotat

Toutefois, je préfère évoquer une guerrière de notre temps et de notre région. On appelait familièrement « Claire Marie » cette religieuse jurassienne née en 1923 dans la ferme Jeannotat à Montenol, dans le Clos du Doubs. Elle vient de mourir en mars dernier, quelques jours avant de célébrer parmi nous son centenaire, à Menzingen, siège central de sa Congrégation.

Religieuse dès sa vingtième année, Claire Marie aurait pu devenir enseignante dans une école rurale de Romandie si sa Congrégation ne l’avait pas envoyée en République sud-africaine en 1947 déjà. Elle ne rentra en Suisse qu’en 1981 pour se remettre d’un grave accident qui avait mis sa santé à rude épreuve.

D’emblée, Claire Marie épousa en Afrique australe la guerre contre l’apartheid avec tous ses risques. Elle associait à ce combat politique et social un comportement et des motivations religieuses proches de la théologie de la libération. Un de ses fidèles amis et compagnons de lutte fut précisément le frère dominicain Albert Nolan dont ce site a fait récemment l’éloge à l’occasion de son décès.

De retour au pays, notre guerrière ne déposa pas les armes. Depuis son Jura, puis à Lausanne, elle poursuivit sa lutte antiapartheid, joignant à cette cause celle des réfugiés et des requérants en quête d’asile dans notre pays. Ce n’est qu’à 90 ans qu’elle accepta de se retirer – physiquement – dans une maison de repos, demeurant extrêmement active et informée grâce au net qu’elle avait appris à maîtriser. Eloigné du terrain, elle s’engageait par l’écrit et entretenait de précieuses relations avec ses nombreux amis d’ici et de là-bas.

A deux reprises, j’eus le privilège de la rencontrer presque centenaire. J’étais accompagné d’un frère dominicain sud-africain qui vouait un véritable culte à la jeune paysanne de Monterol que l’humour de la Providence amena un jour jusque chez lui.

 

Edita Adlerova

Enfin, je conclus cette litanie de guerrières en mentionnant le nom et l’histoire de Edita Adlerova, épouse d’Ota Kraus, rescapée d’Auschwitz et qui vit actuellement avec son mari à Netanya en Israël. Edita est aussi une femme guerrière que vient de me faire découvrir une splendide BD, signée par Salva Rubio, scénariste et Loreto Aroca, dessinateur et coloriste. La BD est intitulée : « La bibliothécaire d’Auschwitz ». Elle a paru en 2022 aux éditions Rue de Sèvres à Paris. Un dossier historique très précieux pour le lecteur reconstitue à la fin de l’ouvrage le décor et le cadre précis de cette sombre et lumineuse histoire. En fait, les auteurs se sont inspirés d’un roman d’Antonio G. Iturbe qui a raconté la véritable histoire d’Edita après l’avoir rencontrée en Israël.

Je ne livre pas le contenu de ce récit, laissant au lecteur l’intérêt de le découvrir lui-même et d’admirer au passage le traitement artistique qu’en ont fait les auteurs de la BD. Un seul mot pour situer Edita ou Ida.

Un enfant juif de Tchécoslovaquie enfermé avec sa mère dans le ghetto, puis dans le camp de Theresienstadt, avant que les nazis ne les transfèrent à Auschwitz. Promis à l’extermination immédiate, leur chance, si c’en est une, fut que leur mort fut différée. Ida et sa mère faisaient partie à l’intérieur du camp d’une section spéciale, moins déshumanisée que le reste, et qu’on exposait aux enquêteurs de la Croix-Rouge venus s’informer sur place des conditions d’internement. Ce n’était sans doute pas le paradis, mais l’opportunité pour Ida de donner libre cours à son appétit de lire et même de constituer à Auschwitz une mini-bibliothèque. Des prédateurs, comme le sinistre docteur Josef Mengele, étaient à l’affût, à la recherche de jeunes victimes. Mais le désir de vivre demeurait vivace, s’adaptait au jour le jour à la perspective d’atrocités, entremêlées à quelques lueurs de bien-être et d’espoir.

Un combat pour la vie que notre guerrière Ida mena jusqu’à sa libération inespérée. Elle mérite bien de figurer sur le même retable où sont déjà exposées les femmes que je viens d’évoquer.

Lucas Cranach l'Ancien, Judith avec la tête d'Holopherne, vers 1530. Wikimédia.

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